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Ressources / Thomas
Pierre / C. Dejours - Travail, usure mentale
C.
Dejours, Travail, usure mentale, Bayard, 1ère éd.
1980, 2000
Présentation
de louvrage :
Il
marque le début de la psychodynamique du travail qui, à
la différence de la psychopathologie du travail, sintéresse
à leffacement des comportements libres (cest à
dire orientés vers le plaisir et les besoins) et lapparition
de comportements conditionnés.
Létude sappuie sur le vécu ouvrier, la parole
ouvrière. Elle pose comme hypothèse que lorganisation
du travail exerce sur lhomme une action spécifique dont
le point dimpact est lappareil mental. On cherche à
montrer que la disciplinarisation des corps passe toujours par une neutralisation
préalable de la vie mentale par lorganisation du travail.
Dans cette optique le mental est étroitement imbriqué
au corps : agresser lun cest agresser lautre.
Lauteur :
Psychanalyste,
psychiatre, et spécialisé dans la psychologie du travail.
Létude
[1]
Lidée
première ou primordiale du livre réside dans la conception
de la souffrance ou de linsatisfaction au travail comme résultant
dune inadéquation entre lorganisation du travail
et la personnalité, léconomie psychosomatique :
désirs et besoins des individus. A contrario, la satisfaction
au travail réside dans cette adéquation. Les satisfactions
contrebalancent les insatisfactions (comme chez les pilotes de chasses).
Cette confrontation est appelé « rapport homme-travail ».
Quand ce rapport est bloquée, il ny a plus aucun moyen
dajuster ou de sadapter lexercice de sa tâche
à ses désirs et besoins ; la souffrance est donc
plus présente que jamais. Le modèle du travail librement
organisé est donc celui dans lequel la souffrance est la moins
présente, la moins intense, tandis que celui de lOST apparaît
comme le plus rude (spartiate pour la personnalité).
Lorganisation est donc une contrainte, nous réprimons notre
désir et notre plaisir dans cette confrontation car la condition
même du rapport homme-travail (de la confrontation) est la « discipline
de la faim » où la survie passe avant la santé
et par le travail, modèle naissant au 19ème siècle
qui perdure malgré que le « front de la santé »
ait progressé.
Revenons
sur les protagonistes et allons plus avant.
Lindividu, il a des besoins et désirs qui quand ils sont
épuisés apportent du plaisir. Cest quil y
a simultanéité du besoin et du plaisir. Il est plaisant
que nos désirs se réalisent et le premier de nos désirs
est que nos besoins soient remplis. Léconomie psychosomatique
globale doit être entendue comme un économie cest
à dire une distribution équilibrée, pondérée,
de satisfaction de différentes natures : moteur, psychosensoriel,
physique, intellectuel, affectif, auxquels il faut ajouter les désirs
qui peuvent apporter des satisfactions symbolique, sublimatoire. Chaque
individu qui remplira ses besoins dans son activité, gagnera
cet équilibre et sera satisfait.
Cest
cette équilibre quentrave lorganisation du travail.
Elle ne répond que rarement aux besoins et désirs des
travailleurs surtout si elle est dépersonnalisante, si elle uniformise
ou standardise les tâches : de la naît la souffrance.
Satisfaction et insatisfaction naissent de la confrontation de la personnalité
au contenu significatif de la tâche dune part et du mode
opératoire prescrit de lautre.
- Le contenu significatif de la tâche est une donnée subjective
pour une grande part, ici linsatisfaction sera symbolique et aura
le mental comme point dimpact. Toute tâche à une
signification par rapport au sujet (à un métier, à
un statut) et à lobjet (la production a une fonction sociale,
économique et politique, sans oublier la rémunération)
- Le mode opératoire prescrit réprime les besoins, linsatisfaction
nest plus symbolique mais économique, son impact est le
corps. Le mode opératoire est léquivalent des conditions
de travail qui sont des contraintes physique, chimique, biologique mais
qui peuvent engendrer des souffrances mentales (via la peur). Lorganisation
du travail peut sentendre dans un sens moins générale
que celui que jai employé jusqualors. Précédemment
jentendais condition de travail et ce 2nd terme sous lequel on
glissera la division du travail, le contenu de la tâche, le système
hiérarchique, relationnel et de responsabilité.
De
cette confrontation naît donc des insatisfactions, une souffrance
dont la forme varie selon lOrganisation du travail. Les symptômes
sont les suivant : frustration, anxiété ou angoisse
et la peur car dans de nombreuses tâches le risque nest
jamais totalement résorbé. Le travail ouvre sur la maladie,
des décompensations mentales ou des affections somatiques quand
les défenses collectives puis individuelles (intra-psychique)
sont débordées.
En effet, pour contenir cette souffrance, cette insatisfaction, tout
en réalisant leur tâche, les travailleurs mettent en place
des idéologies défensives (collectives de groupe
ou de métier- sauf lorsque lorganisation divise les hommes
et les tâches, il faut alors des défenses personnalisées).
Une
idéologie défensive doit contenir et occulter, mettre
à distance une anxiété. Elle fait face à
un risque réel et demande la participation de tout le groupe :
les perturbateurs sont exclues. De plus, elle remplace les défenses
individuelles (au sens dintra-psychique) ce qui explique les difficultés
à résister isolément. La forme spécifique
dune idéologie défensive dépend de la nature
de lanxiété et du groupe délaboration.
Une idéologie défensive, en plus de masquer la souffrance,
de la mettre à distance, a un coût, elle demande des sacrifices.
La difficulté pour lutter ou analyser la souffrance est quil
faut la lire au travers des idéologies défensives.
Quelques
exemples :
Sagissant du sous prolétariat, cest la discipline
de la faim qui règne. Le front de la santé se dégagera
une fois la lutte pour la réduction de la durée du travail
gagnée.
La préoccupation principale pour cette population cest
de survivre. Le risque, générateur danxiété,
est celui dêtre hors détat de travailler :
être malade.
Dans le sous prolétariat, guérir cest domestiquer
la souffrance pour pouvoir continuer le travail doù ils
tirent leur subsistance. On assiste à la mise en place dune
idéologie de la honte destinée à mettre à
distance lanxiété du risque dêtre hors
détat, dêtre malade. La maladie empêche
le travail du corps productif de lhomme, éducatif ou domestique
de la femme. Maladie et travail sont liés à tel point
que le manque de travail devient une maladie.
Cette idéologie collective a ses effets négatifs (et qualifié
négativement) quand elle échoue individuellement (alcoolisme,
violence antisociale) ainsi que dun coût : celui de
la résistance au système de protection médico-sanitaire.
-
De même faut il comprendre la résistance aux consignes
de sécurité et les conduites dangereuses des ouvriers
du bâtiment et du personnelle des industries pétrochimiques ;
la fierté et le mépris du danger des pilotes de chasse.
Ces comportements ne témoignent pas de bêtise mais didéologie
défensive qui font leurs martyrs.
Cest donc dans leffort continuel
de lorganisation du travail contre les désirs et besoins
de lindividu quémerge la souffrance : notamment
lorsque le rapport homme-travail est bloqué, ou quil ne
permet pas de remplir les besoins et attentes. Lidéologie
défensive intervient pour masquer cette souffrance, pour permettre
de vivre avec.
A ce stade déjà les comportements libres sont effacés
et les comportements conditionnés présents mais masqués.
Mais lOrganisation du travail ne sarrête pas là,
elle exploite la souffrance mentale quelle impose pour disciplinariser
les corps. Plus précisément, ce nest pas la souffrance
qui est exploité mais les systèmes défensifs érigés
contre elle.
Parmi les maîtres symptômes de la souffrance nous avons
mentionné la frustration au sens de répression de ses
besoins et désirs ; la peur ou langoisse.
Revenons
sur cette dernière : la peur.
La peur est présente dans toute les tâches professionnelles,
elle répond à un souci réel. Aucune organisation
du travail ne résorbe totalement le risque par la prévention.
La peur répond à ce qui, dans le risque, nest pas
contrôlé par la prévention collective. Elle est
engendrée par un écart entre la conscience de lexistence
dun risque et lignorance de la nature de ce risque [2].
Le savoir est donc un des mécanismes de défense fondamental
de léquilibre psychique. Le savoir renforçant les
défenses ; lignorance laissant sans défense,
elle accroît la peur.
Les idéologie défensives sont faite pour mettre à
distance la peur, les signes du danger ; elles deviennent nécessaire
à lexercice de la tâche car la peur paralyse. Lidéologie
défensive participe donc à la cohésion du groupe,
à la sélection du personnel même : celui qui
ranime la peur en refusant lidéologie défensive
est exclu.
Lauteur détermine 3 formes de la peur :
- Celle engendrée par la discipline de la faim : condition
du rapport homme-travail, orme de réalité brute :
SURVIE.
- Celle relative à léquilibre psycho-affectif cest
à dire aux rapports humais, aux modes de relation portés
par lOrganisation du travail.
Dans ce même groupe est classée la peur relative à
la désorganisation du fonctionnement mentale par une autorépression
devant les contraintes du travail : PSYCHIQUE.
- Enfin, celle relative aux risques du travail, risques qui pèsent
sur la santé physique, le corps, lorganisme : CORPS.
A
travers ce qui a été dit, on voit que la peur est un instrument
de productivité : elle opère une sélection
du personnel à travers la dynamique des groupes, elle crée
une solidarité et un état dalerte de tous qui permet
une réactivité aux incidents. Elle permet (par les idéologies
défensives) leffectuation du travail.
Elle est aussi un instrument de contrôle social [3].
Déjà aux niveau du groupe par lidéologie
défensive. Mais aussi par le savoir quelle permet darracher
lors des préparations de campagne de prévention, alors
que la sécurité au travail nest quun mythe
(doù la transgression comme forme de preuve lors dune
critique). De même avec la surveillance, on devient sa propre
sentinelle [4]. Il y a exploitation
de la peur et par la peur.
Cela
vaut pour la frustration. Lorsque lexercice de notre travail nous
frustre, nous avons une agressivité réactionnelle que
nous devons contenir devant la discipline de la faim : cest
ainsi quon se disciplinarise. Chez les opératrices téléphoniques,
la frustration naît dune dépersonnalisation, dune
standardisation de la tâche et dune absence de contenu significatif.
Pour contrôler lagressivité, la solution est de diminuer
le temps de communication. An même temps, cela augmente la productivité.
Dans cet exemple, la peur (par la surveillance) est un instrument de
contrôle social tandis que la frustration permet un sur travail.
A ce stade, ce nest plus le travail qui produit la souffrance
mais bien la souffrance qui produit le travail.
On
retrouve ainsi la thématique de laliénation au travail.
Aliénation au sens de Marx cest à dire dune
tolérance à lorganisation du travail qui réprime
les désirs et les besoins du travailleurs. Mais aussi au sens
psychologique car de par les idéologies défensives, les
travailleurs confondent leurs désirs avec ceux de lorganisation.
Lorganisation prend le siège de son libre arbitre.
Lorganisation
imposent des contraintes, des insatisfaction : peur, fatigue, frustration.
Diminuer ces contraintes cest diminuer la visibilité de
la souffrance masquée par les idéologies défensives.
Les 1er signes déchec de ces stratégies sont souvent
individuels (seul face au danger) ; on peut lire le dépassement
des défenses dans le rendement mais au fur et à mesure,
les décompensations ou les affections somatiques apparaissent.
A ce moment, la 1ère réaction est de médicaliser
la peur, de masquer la souffrance dans ce quelle peut avoir de
mentale.
Les
pathologies de notre temps (p.11 à 20)
Dans
sa préface, lauteur pointe laccroissement de plusieurs
pathologies liées au travail dans nos sociétés.
Les praticiens (cliniciens, psychologues, médecins du travail)
y sont fréquemment confrontés. Voilà une bref présentation
de ces pathologies, je mattarderai plus longuement sur le harcèlement
moral.
-
Les pathologies de surcharge (TMS : troubles muscosquelettiques ;
LER : lésions par efforts répétitifs ;
lésions dhypersollicitation), provoquée par laugmentation
des contraintes de cadences et de productivité.
- Le Karôshi (Japon) provoqué par la surcharge de
travail et la suractivité, on emploie le terme pour marquer la
mort subie par accident vasculaire de sujet nayant aucun antécédent
et comme seul facteur de risque la surcharge de travail.
- Le burn-out, qui se manifeste par lépuisement,
le découragement ainsi quune dévalorisation de soi
ou une dépression.
- Les affections post-traumatiques (névrose traumatique,
syndrome subjectif post traumatique, sinistrose) qui étaient
le fait de victime daccident de travail mais qui sont devenues
une pathologies professionnelles avec lusage plus fréquent
de la violence et des agressions pour certains services. De plus, lorganisation
du travail expose de plus en plus à ces risques.
- Les violences pathologiques : les agents ne sont plus
les victimes mais cest eux qui deviennent les agresseurs. Les
auteurs peuvent présenter des troubles de la conscience, une
confusion mentale, un état de délire. Ils peuvent aussi
retourner cette violence contre eux car il ny a pas dindépendance
entre travail et hors travail ; quand une crise se déclenche,
tout les secteurs de la vie en pâtissent. Les suicides (au ou
hors travail) laissent percevoir « une vaste pathologie de
la solitude
caractéristique du monde du travail contemporain ».
- Les pathologies cognitives : troubles du jugement, de
la mémoire, désorientation spatio-temporelle qui affectent
la cognition dun secteur étroitement reliés aux
activités professionnelles. Elles ont été mis en
rapport avec les mutations des méthodes de management notamment
dans lévaluation et les objectifs individualisés.
Les objectifs sont irréalisables ou consistent en des « contresens
théorique et des situations absurdes et psychologiquement dévastatrices ».
Le
harcèlement moral. Lauteur avertit de plusieurs
études (dont celle de R.Linhart, 1978) démontrant que
ces pratiques ne sont pas nouvelles dans le monde du travail. Une des
données principales du harcèlement cest la passivité
des témoins, labsence de solidarité et les transformations
du sens de la justice dans le travail ; tout cela fait du harcèlement
une « pathologie de la solitude ».
Laggravation des conséquences psychopathologique du harcèlement
serait dû à la déstructuration des stratégies
collectives de défenses. Les défenses contre la peur dans
le travail rentre en contradiction avec les anciennes. Les nouvelles
défenses (chacun pour soi, illère volontaire, cynisme
viril, réalisme économique) déstabilisent les anciennes
qui reposaient sur une forte cohésion du collectif de travail.
Lanalyse du harcèlement ne peut se baser uniquement sur
la relation perverse (interprétation propre à la France) :
ce serait fonder la victoire et linnocence de lorganisation
du travail. Au contraire, il faut y intégrer les conditions collectives
(sociale et politique) et tourner notre regard sur la passivité
des témoins issue de la banalisation du mal.
Notes
[1]
Ici, je me passe de guillemets mais on peut dire que tout est issue
du livre et rien ne tient à moi seul si ce nest la présentation.
[2]
Le lien entre peur et Organisation du travail est réalisé
par lintermédiaire du risque. Pour ma part, et après
Montaigne (Essai 1, chap ?) la peur naît avec la souffrance, nous
avons peur de la douleur et non de la mort. Une fois la souffrance reliée
à lOrganisation, la peur est présente chez lindividu
souffrant. Cela étant les développement de lauteur
nen sont pas moins suggestif.
[3]
Ici, la peur ayant été reliée au savoir, le couple
savoir-pouvoir ré-émerge.
[4]
M. Foucault, Surveiller et punir
Thomas
Pierre