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Oudin / Nouveaux terrains et nouveaux enjeux de l'ethnologie
Nouveaux
terrains et nouveaux enjeux de lethnologie : colloque de Metz.
mardi 24 février 2004.
Journée
de conférences et dinterventions dethnologues et
doctorants à luniversité de Metz sous la thématique
:«NOUVEAUX TERRAINS ET NOUVEAUX ENJEUX DE LETHNOLOGIE»
Contribution
de François Oudin, doctorant en ethnologie à luniversité
de Metz.
Lethnologie
a toujours été le lieu dune réflexion issue
dun travail de terrain orienté par des enjeux. Si la perception
ethnocentrique est globalement évincée de notre discipline
il nen reste pas moins vrai que terrains et enjeux évoluent,
rendant nécessaire une réflexion jalonnant le processus
denquête et de recherche. Une évidence demeure cependant,
à la suite de Françoise et Michel Panoff dans leur ouvrage
Lethnologue et son ombre (1968, Paris, Payot), « (...) le
terrain nest pas un rite de passage, dont on pourrait aisément
se désintéresser, mais (...) il constitue lexpérience
à partir de laquelle sorganise la science ethnologique
: le terrain apparaît comme un laboratoire où lethnologue
doit faire des séjours longs et répétés.
» Linterrogation que le chercheur en sciences sociales doit
donc se poser nest plus de savoir si oui ou non le terrain est
fondamental mais comment trouver une approche judicieuse face à
un nouveau terrain. Chaque terrain est évidement particulier,
car nouveau, et nécessite une réflexion spécifique,
cependant quelques éléments fondamentaux sont transversaux
et méritent une réflexion globale : lobservation
participante doit-elle toujours être perçue comme nécessairement
associée à une grande distance géographique, que
lon ne retrouve pas toujours en ethnologie contemporaine , au
long terme et à un objet aisément circonscrit, apréhendable,
non sujet à « léclatement ». La question
du terrain est évidement liée à celle des enjeux,
fondateurs, quoi quon en dise, dune étude et nécessaires
à sa pérennité. Ceux-ci doivent également
sassortir dune réflexion que je symboliserai, sans
vocation exhaustive, par une question : peut-on envisager une «
ethnologie de laction » ?
De
nouveaux terrains sont constamment proposés à lethnologue,
la première grande mouvance du terrain ethnographique ayant été
son rapatriement historique de « lailleurs » à
« lici ». Peut-on alors envisager sereinement de solliciter
une méthode à lidentique ? Lethnographie ne
croyait-elle pas nécessaire la distance géographique et
sociale ? Le problème de la familiarité par rapport à
un objet se doit dêtre envisagé mais ne constitue
pas, en mon sens, une réalité insurmontable : lethnologue
a toujours dû se familiariser et sincorporer au sein dun
nouveau « milieu » avant de pouvoir létudier.
Reste que chaque nouveau terrain engendre, du fait de ses particularités,
certaines contraintes auxquelles il faut sadapter. Pour illustrer
cet état de fait jaborderai ici un exemple de terrain particulier,
envisagé afin de décrire le monde des motards, sujet «
proche » sil en est.
Cet
exemple concerne un matériau particulier, constituant en mon
sens une partie de mon terrain, que jai pu solliciter. Dans nos
sociétés fortement attachées à lécrit
il nexiste que peu de domaines non relayés par la presse,
le milieu de la moto néchappant pas à cette règle.
La presse spécialisée dans ce domaine est en effet pléthorique.
Censée toucher la majeure partie des pratiquants, elle est pourtant
à aborder avec circonspection car la différence entre
une publication somme toute commerciale et la réalité
de terrain évoquant un état desprit propre au monde
de la moto ne fait aucun doute. Cette source quasi-inépuisable
de données est cependant disponible et il convient de sélectionner
rigoureusement linformation par rapport à son thème
de recherche, dans ce cas précis la majeure partie des magazines,
cest à dire les essais motos, seront exclus car trop éloignés
de la réalité dune pratique constatée sur
le terrain. Grâce à son expérience de terrain le
chercheur peut alors apprécier cette presse en décalant
son regard vers le détail, sintéressant alors à
léditorial, à la rubrique « coup de gueule
» et au courrier des lecteurs, permettant de cerner la préoccupation
pour certains thèmes récurrents tels que la sécurité,
la performance ou la solidarité pour ne citer queux. La
publicité présentée dans ces magazines est également
instructive, comme la montré Patrick Baudry dans Le corps
extrême, la considérer permet de cerner un stéréotype,
presque un idéal type et, si elle ne forme pas une réalité,
elle linstalle en la faisant passer dans la sphère du quotidien.
Jen veux pour preuve cette publicité pour un nouveau modèle
de moto présentant, en double page, un modèle rutilant
sous la phrase : « De mémoire de motard on avait jamais
encaissé de choc aussi fort. » Lambiguïté
du message est flagrante et à lesthétique se mêle
une certaine idée du risque et de laccident se faisant
le relais du mythe de la virilité à travers lidée
de survie. Cette littérature alternative est ainsi signifiante
au delà de son aspect quelque peu décalé et constitue
un complément utile à lobservation participante.
Ce type dapproche reste cependant, en mon sens, annexe, elle ne
peut remplacer la relation ethnologue/informateur. Si lobjet permet
une illustration, il ne peut interagir avec lethnologue et en
cela lobservation participante de long terme est fondamentale.
Reste que lenvisager ne se fait pas toujours sans heurt. Jaimerai
ici vous faire part de ma courte expérience. Courte car jusquici
les études envisagées sont liées à des échéances
rapprochées, il en va ainsi des mémoires de licence, de
maîtrise et de DEA. On fait alors face à un paradoxe de
lenseignement ethnologique universitaire, prônant le long
terme et proposant de réaliser un travail sur du court terme...
Au delà de ce fait remarquons également que certains terrains
sont difficilement appréhendables sur un temps long, à
limage dune étude sur la formation au permis A (moto)
qui ne dure globalement que de 25 à 35 heures ! Lethnologue
doit alors démontrer certaines capacités dadaptation
et comprendre que le rapatriement historique de lethnologie de
« lailleurs » à « lici »
a fait basculer le terrain dans lincertitude. Incertitude réelle
car le chercheur rencontre ce qui semble plus relever de lactivité
que de limmersion totale et prolongée dans une vie sociale
et culturelle autre. Le long terme a alors des frontières floues.
Jen veux pour preuve létude que jai pu mener
lors du mémoire de licence, abordant la prise de drogue au sein
des soirées technos (Rave et prise de drogue. 2000). Léchéance
courte associée à laspect occasionnel des raves
ne permettant pas le long terme il a fallu trouver un palliatif afin
de conserver toute la validité de lobservation participante.
Javais alors émis lhypothèse de la construction
dune observation non sur la base du long terme mais sur celle
de la confiance ethnologue/informateur, confiance permise par un intérêt
commun : comprendre une pratique. Cela a permis, entre autres, dêtre
inséré au sein dune communication non-verbale (mouvements
du corps, gestes, regards...) dont la compréhension a été
la clef de laccès à un univers de sens cohérent.
Lethnologue du « proche » pallie ainsi labsence
de temps long par la proximité davec linformateur
dans une observation participante liée à une implication
totale du chercheur et de linformateur. De la confiance découlera
labsence de discours convenu, notamment lors des entretiens au
cours desquels labsence de complicité rompt rapidement
toute forme de communication constructive. Les positions somme toute
théoriques dethnologue et dinformateur doivent ainsi
être réinterprétées par rapport au terrain
concerné afin de ne pas céder au scientisme ethnologique
pour qui théorie et pratique ne feraient quun. Le refus
de cette utopie est une des conditions de la réussite dune
phase de terrain avec quelquun et non sur un sujet. Lethnologie
semble donc encore possible alors que les frontières du temps
long se délitent, celles-ci nétant en fait visibles
que lors dune quasi-monographie portant sur un objet « monobloc
», tel groupe social, telle tribu, tel lieu, éléments
précisément définis et circonscrits, faisant la
part belle en la croyance en lunité de lobjet de
recherche. Lobjet ethnographique doit pourtant être pensé
dans sa diversité pour être appréhendé. On
pourrait dire que la qualification de « nouveaux terrains ethnologiques
» est liée à leur éclatement. Cela suscite
de nombreux questionnements, lorsque lon sintéresse,
par exemple, à la thématique de la moto doit-on laborder
par le biais de la formation, de films documentaires, de films de fiction,
de la pratique en elle-même, de lidéologie revendiquée
par un fédération telle que la FFMC (Fédération
Française des Motards en Colère), des concentrations motardes
? Faut-il se pencher sur tous ces terrains ? Doit-on les analyser en
tant quéléments complémentaires ou représentatifs
dune même réalité ? De nombreuses questions
se posent alors à lethnologue. La moto, pour reprendre
le même exemple, nest pas quobjet de recherche, elle
est également objet esthétique, idéologique, technique,
dusage, etc... Il faut alors parvenir à aborder cette complexité
en sinterrogeant sur la multiplicité du terrain, multiplicité
spatiale, temporelle et idéologique.
Léclatement
du terrain ethnologique nous permet daccéder à la
question des enjeux car selon le traitement du sujet propre à
lethnologue le rendu, limpact sur le réel de létude
varieront. Il en va ainsi de limage des motards lorsque lon
sintéresse à leur pratique, malgré une volonté
de proposer un texte dépourvu de tout jugement de valeur, ne
cherchant quà reproduire lexacte réalité
de terrain, le fait même de décrire ce qui est unanimement
évoqué comme une passion propose à la critique
un matériau suffisant pour verser dans une caricature à
vocation globalisante. Le chercheur doit donc tenir compte du possible
traitement de linformation après létude, notamment
par des personnes nayant pas participé à lenquête
et ne possédant donc pas une connaissance préalable du
terrain et de son milieu. Lethnologue doit donc faire preuve de
prudence car il doit être conscient des implications de son travail
et de son obligation morale de fidélité à la réalité
de terrain. La description et lexplication de la réalité
ne peuvent être séparés de la compréhension
doù peut naître laction. A la suite de cette
évocation de labsence de neutralité de lécrit
ethnologique on peut sinterroger sur la nature même de lethnologie,
que jai souvent perçue comme une description compréhensive,
notamment en se questionnant afin de savoir si lethnologie contemporaine,
dont celle dite « de lintérieur », ne pourrai
constituer en une « ethnologie de laction » au même
sens que lon parle de « sociologie de laction »
ou dethnologie engagée. Afin de réfléchir
à cette question je me contenterai dévoquer un exemple
précis, abordé lors de mon travail sur la transmission
du « savoir motard » au sein dune moto-école.
Cet exemple concernant la formation au permis moto est aujourdhui
dactualité : il sagit du chronométrage de
lépreuve hors circulation appelée officiellement
« épreuve à allure normale », que tout le
monde évoque comme étant « la rapide ». La
France est en effet le seul pays européen à avoir adopté
ce système dévaluation, dont le possible abandon
pour cause dharmonisation européenne crée une polémique
dans le milieu de la formation moto. Ce chronométrage est en
effet probablement ce quune ethnologie de laction aurai
proposé dévincer en premier lieu dune formation
dédiée à sécuriser la conduite. Elle donne
en effet lieu à une double interprétation des apprentis
: dune part les personnes sensibles aux charmes de la vitesse
y voient un moyen de se surpasser et retrouvent donc au sein de la formation
leur idéal de maîtrise et de performance, dont ladéquation
davec une sécurité optimale reste à prouver,
dautre part les usagers prudents y voient une incitation à
la prise de risque, nécessaire en effet à la réussite
de cette épreuve, et ne comprennent pas le pourquoi dune
telle épreuve. Une évidence simpose : une formation
revendiquant comme objectif premier de permettre aux usagers de la route
de circuler sans risque ne peut décemment pas sassortir
dune épreuve chronométrée, trop chargée
symboliquement. Il semble que lEtat, de par sa structure et son
éloignement de la réalité de terrain, ai du mal
à penser un savoir transmissible incarnant son idée de
la sécurité à moto. Lethnologie pourrait
ici se révéler un excellent outil et pourrait prétendre
à une ethnologie de laction ayant un effet réel
sur son objet détude.
De
nombreuses questions restent en suspens. Je nai fait ici que proposer
quelques pistes de réflexion que mont inspiré certains
de mes travaux. On ne peut cependant nier la réelle mutation
du terrain ethnographique, donnant lieu à une transformation
de lobjet lointain, en un objet proche, quotidien, côtoyé,
lié à une connaissance et à des enjeux dautant
plus facilement perceptibles que la distance entre lethnologue
et son sujet de recherche, notamment par le biais de ses informateurs,
est moindre. Parler de nouveaux terrains et de nouveaux enjeux nest
finalement que faire évoluer une discipline par la réflexion
issue de lexpérience. Cette démarche a banni lethnocentrisme,
reste à présent à éviter lécueil
du scientisme en acceptant la subjectivité sous-jacente à
toute étude, en lien avec des enjeux que le chercheur a des difficultés
à maîtriser faute dy prendre part. Faut-il alors
envisager dentreprendre une « ethnologie de laction
» ? La question mérite en tout cas que lon sy
attarde.
François
oudin