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HISTOIRE DE L'ETHNOLOGIE


Sans revenir à un passé trop lointain, bien qu'il serait intéressant de redécouvrir les textes d'Hérodote qui reste considéré par beaucoup d'ethnologues comme " le père de l'ethnologie " en constituant sans doute le premier, un corpus ethnographique d'importance. Ou encore ces savants musulmans des IX et X siècles qui en parcourant l'extrême orient et l'Inde nous ont laissés ces fameux récits de voyage qui montrent, si c'est encore nécessaire de le dire ici, que l'Autre a toujours eu un certain intérêt pour notre civilisation. Notre ethnologie telle qu'elle est comprise et pratiquée aujourd'hui résulte plutôt de quatre événements beaucoup plus récents, si l'on se place à l'échelle de l'histoire de l'humanité:


1) Notre conception actuelle doit tout d'abord son existence à une nouvelle représentation du monde, inaugurée principalement par la révolution industrielle en Angleterre et en France.
2) Nos constructions savantes de ces sociétés dites " exotiques " n'auraient pas prises cette ampleur si, deuxièmement, comme le pense d'ailleurs Lévi-Strauss, on n'avait pas porté un intérêt historique et scientifique aux villes ensevelies de Pompéi et d'Herculanum. Ce moment historique du face-à-face entre notre civilisation et la vie d'une civilisation morte retrouvée dans les cendres a certainement posé le problème des différentes reconstitutions que doit impérativement faire l'ethnologue en prise avec une population, et donc une histoire, une langue et des comportements qu'il ne connaît pas.
3) Cette accélération dans le comportement des sciences de l'homme, pas encore déclarée comme telle, s'explique aussi par la prise de conscience après la découverte de haches de pierre appartenant à l'ère du pléistocène dans une grotte, datée de 1836, que l'homme est le contemporain de mammifères disparus.
4) Enfin il reste un dernier mouvement qui est indissociable de cette science puisque notre ethnologie ( qui pendant très longtemps est restée la seule) est fondamentalement liée à l'Europe de 1870-1910, c'est à dire à cette Europe coloniale et impérialiste. D'ailleurs si cette Europe se réduit à cette époque à la France d'un côté et à l'empire britannique de l'autre, il n'est pas étonnant de constater que les terrains choisit par les savants sont en rapport avec leurs colonies, à savoir en ce qui nous concerne l'Afrique et l'Asie, alors que l'ethnologue Anglais a choisit l'Inde et l'Océanie. Il reste peut être aujourd'hui de cette bi-partition du monde, des terrains plus privilégiés et donc plus étudiés que d'autres, on peut dire en fin de compte, que l'ethnologue français était prédestiné à étudier l'Afrique des Dogons ( Cf Marcel Griaule, Dieu d'eau. Entretiens avec Ogotemmli, Paris, Ed. du Chéne) plutôt que l'exotisme Océanien des Trobriandais ( Cf., Malinowski., La vie sexuelle des sauvages du nord-ouest de la Mélanésie, Paris, Payot, trad. Française).


Bien entendu cette dernière lecture reste une caricature qui ne doit servir à montrer que l'histoire de l'ethnologie ne peut se comprendre sans la prise en compte de son contexte politique. L'exemple d'Evans-Pritchard, le grand spécialiste des Nuers, reste à ce sujet le plus frappant, puisqu'il s'engagea dans la force auxiliaire de défense du Soudan pendant la seconde guerre mondiale alors que son voyage devait normalement lui permettre de continuer ses études anthropologiques.
Si notre ethnologie possède son histoire et sa géographie, elle trouve son maître dans la personne de Bronislaw Malinowski, sans doute auteur du terrain le plus célèbre et aussi le plus mythique de la profession. Il reste aujourd'hui l'auteur de notre perception contemporaine du " là bas " et de " l'Autre ", en introduisant dans le champs des recherches ethnographiques la technique de l'observation participante. On peut lire dans son ouvrage de référence qui reste Les argonautes du pacifique occidental qu'" Il n'est pas mauvais non plus que dans ce genre de travail ( d'observation normal) l'ethnographe abandonne quelquefois sa caméra, son bloc notes et son crayon, pour se joindre à ce qui se passe […] je ne suis pas certain que ce soit aussi simple pour tout le monde, mais si le degrés de succès varie, il n'en demeure pas moins que chacun peut essayer. " L'ethnologie se dote désormais d'un remède à son ethnocentrisme puisqu'elle va étudier la spécificité de chaque culture, spécificité qui passe néanmoins par l'étude de la norme d'une société, par l'observation de ses pratiques et par ses représentations, mais aussi et c'est sans doute le fait le plus important, par la présence physique du savant. Ce-dernier se doit d'adopter une position proche du je-suis-témoin-et-en-tant-que-tel-je-dois-relater. Comme le dit très justement C.Geertz sur ce sujet : " il importe de convaincre les lecteurs que ce qu'ils lisent est un récit authentique, écrit par une personne personnellement informée sur la façon dont la vie se passe dans un endroit donné, à un moment donné, au sein d'un groupe donné" ( Geertz . 1996)


De cet évolutionnisme digne d'un James Frazer ( Le Rameau d'or) ou d'un Eduard Tylor (premier théoricien de l'animisme) qui développa en premier ce que l'on a pu appeler, les relations sociales génétiques, à savoir cette question de la parenté, du lignage, de la filiation, de la descendance, et qui resta pendant très longtemps le thème obsessionnel de l'ethnologue, l'on passe à deux nouvelles tendances épistémologiques. Tout d'abord le fonctionnalisme, sans doute le plus directement en rapport avec le travail de Malinowski, qui reprend par ailleurs les thèmes de Durkheim, à savoir que chaque fait social fonctionne ensemble et par rapport à la totalité de la société; et le courrant culturaliste qui se force quant à lui, à étudier chaque culture en-soi. Ruth Benedict dira sur ce point que l'étude " des civilisations primitives " doit être le fondement d'une analyse de la culture aussi exacte que la biologie. Pour résumer, il s'agit désormais de donner un sens à la différence même la plus incompréhensible pour un européen moderne, comme dans le cas du cannibalisme : " Pendant des milliers d'années, l'humanité a expérimenté la consommation de chair humaine et ne s'en est pas mal portée. On a notamment démontré qu'elle accentue le sentiment de solidarité au sein du groupe et d'hostilité vis-à-vis de l'étranger, fournissant ainsi un moyen incomparable d'associer la haine de l'ennemi à une émotion profonde et flatteuse. " . La dérive totalisante de cette ethnologie serait pourtant de sombrer dans l'effacement, effacement de la différence, de la divergence, alors que l'ethnologue en a cruellement besoin pour fonctionner, il est et reste un être d'analogie, un être de dialogue et de relation et non un être fade qui ne pourrait projeter ses propres désir dans sa relation à l'autre qu'il étudie. Il est à noter cependant, que certaines des positions inaugurées par les culturalistes se retrouvent aujourd'hui dans l'immense travail d'Erving Goffman, puisque ce dernier en nous présentant notre culture comme bizarre et arbitraire ( lire à se sujet Asylum) rend ce qui est culturellement éloigné comme totalement envisageable.
Pour terminer sur cette question historique, il reste à définir l'avancée du structuralisme et de son principal représentant à savoir Claude Levi-Srauss. Linguistique dans sa technique, le structuralisme vise la mise en évidence des structures fondamentales, l'objectif final étant de faire l'historicité d'une culture par l'étude de ses institutions. Cette posture scientifique eu un très grand échos dans l'étude de la parenté et des mythes qui restent à ce jour les deux grandes applications des théories levi-straussienne. Mais il reste que l'ethnologie ne s'arrête pas avec le cru et le cuit, ou Tristes tropiques ( d'ailleurs est-ce un texte ethnologique, ou une simple expression personnelle qui est bien différente de la froideur des autres livres de Lévi-Strauss), mais au contraire commence avec eux.


Qu'est-ce que l'ethnologie aujourd'hui après cet effondrement réel des théories structuralistes ? ( laissons ici de coté les débats encore incessants sur les avantages ou les inconvénients d'une telle posture théorique), que cherche-t-elle et comment fait-elle pour chercher ? voilà bien maladroitement ce que je vais essayer de vous présenter sans pour autant prétendre à une totale exhaustivité puisque cette fiction explicative n'est et ne doit rester qu'un point de vue sur la question.
Raisonnablement, on peut penser que si la théorie structuraliste ne peut plus fonctionner aujourd'hui comme dans les années 60-70, c'est parce qu'elle a été conçue comme trop parfaite pour être applicable " a priori ". L'ethnologue d'aujourd'hui se doit de penser le changement et la mutation d'une société, de sa société. A croire que les Bororos et les Océaniens nous ont détournés durant toutes ses années de nos propres particularités. Nous devons, pour pouvoir exister et même prétendre à une existence scientifique penser à cette Auto-anthropologie des mondes contemporains, qui n'est peut-être plus à proprement parler de l'ethnologie puisqu'elle se doit de prendre en compte de nouvelles interrogations comme celles de savoir ce que nous faisons de notre corps, et de tout ce qui peut l'entourer à savoir la souffrance, la maladie, le sexe et comment ces différents éléments ont été traités par notre société. L'ethnologue doit faire apparaître des objets nouveaux pour la connaissance et la pratique, il doit pouvoir faire un acte de diagnostic pour lequel il n'a pas été historiquement formé. Il est à noter que ce projet a déjà été énoncé dans un article de Mauss ou il nous dit qu' " il faut, avant tout, dresser le catalogue le plus grand possible de catégories ; il faut partir de toutes celles dont on peut savoir que les hommes se sont servis ; on verra alors qu'il y a encore bien des lunes mortes, ou pâles, ou obscures, au firmament de la raison ".
Il serait donc tout aussi intéressant de revenir sur cette anthropologie qui s'intéresse aux problèmes ethniques et aux relations de pouvoirs. On peut citer à ce sujet quelques principes que deux générations de chercheurs doivent à G. Balandier et à son livre de 1967, Anthropologie politique : " L'anthropologie politique ne doit ni nier ni négliger ce fait ; sa tâche est, à l'inverse, de montrer les formes particulières que prennent le pouvoir et les inégalités sur lesquelles il s'appuie dans le cadre des sociétés " exotique " ". Néanmoins, il perdure des chasses gardées, relevant pour la plupart, de cette ancienne tradition de l'ethnologie française, qui se veut une ethnologie du petit et du détail, de l'infime et parfois de l'infâme comme lorsque Françoise Zonabend pose cette question du silence dans la mémoire familiale et des secrets cachés et enfouis de générations en générations. Cette ethnologie du moindre recoupe d'une certaine manières les positions d'Edmund Leach, qui reste le concurrent le plus rigoureux de Lévi-Strauss, du fait peut-être qu'il a été un des élèves de Malinowski en 1937-38, ce dernier rappelle donc que : " Ce n'en est pas moins à la finesse du grain que je m'intéresse, plutôt qu'aux grossières diversités, la description ethnographique n'acquiert de valeur scientifique que lorsqu'elle entre dans des détails presque obsessionnels " (in l'unité de l'homme, Gallimard 1980.)


Jean François Bert