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Lexique
du langage motard
Un
des travaux auxquels se livre classiquement l’ethnologue est le
relevé méthodique du vocabulaire autochtone. L’acquisition
de la langue de la population à laquelle le chercheur se mêle
est bien souvent la première étape d’un travail de
longue haleine nécessaire à l’acceptation. Si dans
le domaine du proche l’injonction au recueil des termes principaux
du langage des individus rencontrés sur le terrain entraîne
un travail moins ardu, il conserve pourtant tout sa pertinence. Pour
entrer dans un monde, un univers de sens, il est nécessaire d’acquérir
ses codes, dont le plus important est le langage. Il en a été
ainsi lors de ma familiarisation avec l’univers motard. Voici donc
un exemple de relevé de vocabulaire et de son sens, mené
lors du terrain réalisé dans le cadre de mon doctorat
d’Ethnologie. Les paroles de motards sont présentées
entre guillemets, en italique.
Arsouille : terme emprunté à la bande-dessinée
« Joe Bar Team », « l’arsouille »
est le moment où les motards circulent à vive allure,
afin de générer des sensations et d’exploiter le
potentiel de leur machine. « L’arsouille »
se déroule généralement sur route nationale ou
départementale, de préférence montagneuse ou sinueuse
et est généralement réalisée en groupe.
Il ne s’agit pas d’une course mais d’un moment concupiscent.
Bande
de peur : cette expression est utilisée afin de désigner
la partie du pneu qui n’est pas entrée en contact avec le
sol. Elle se distingue si l’on observe le pneu de près,
par sa teinte et son aspect. Sa largeur devient preuve de l’incompétence
du motard, souvent sollicitée dans les joutes verbales. Plus
la bande de peur est large, moins le motard a « pris d’angle »,
c’est-à-dire moins il a penché sa machine dans un
virage ou moins il circule sur les routes où les virages sont
fréquents. Le cas extrême est qualifié par l’expression
« pneu carré », permettant de critiquer
les motards empruntant l’autoroute, caractérisée
par son absence de courbes.
Boite
à roue ou BAR : synonyme d’automobile. L’expression
traduit l’idée d’enfermement des automobilistes, auxquels
les motards opposent leur « liberté ».
On rencontre également « boite à roulettes ».
Burn
: au cours d’un « burn », le motard fait
patiner sa roue arrière afin de diffuser de la fumée.
Elle impose de « soulager » l’arrière
de la machine (par exemple en se plaçant debout et non assis
sur la selle) et de bloquer l’avant de la machine (généralement
par l’usage du frein avant au levier droit). Le « burn »
est peu pratiqué, car couteux. Le plus souvent il est réalisé
pour « finir son pneu », alors que celui-ci va
de toute manière être changé. Lorsque le pneu patine
jusqu’à éclatement on parle de « burn
out ».
Caisseux :
synonyme d’automobiliste. L’expression est connotée
péjorativement.
Chaleur (Se
faire une chaleur) : se dit d’une situation où l’accident
a été évité de justesse. On utilise également
l’expression « c’est passé »
(alors que l’accident peut s’accompagner de la formule :
« ça passait, c’était beau »,
également empruntée à la bande dessinée
« Joe Bar Team »). Les deux « chaleurs »
les plus fréquentes consistent à sentir se dérober
la roue arrière en conditions d’adhérence précaires
(« faire une virgule ») ou lors d’un « run »
ou à « rentrer trop fort en virage ».
Dans ce second cas, le motard constate qu’il circule à trop
vive allure étant donné le rayon du virage, ce qui lui
impose un freinage énergique, une action délicate à
réaliser dans un virage (la moto « se redresse »
généralement, ce qui influe sur la « trajectoire »,
et fait risquer un « tout droit »).
Duo
(Rouler en duo) : rouler avec passager. Remarquons que le passager
est souvent une passagère, compagne ou épouse du motard.
Le « duo » engage un ensemble de techniques du
corps, à l’attention du motard devant gérer un poids
supplémentaire (déplaçant le centre de gravité
de la machine et modifiant quelque peu ses réactions en conduite)
et du (de la) passager (passagère) en ce qui concerne la manière
de se « mettre en selle » (s’assoir sur la
place passager), la façon de se tenir en conduite selon ses différentes
phases (accélération, freinage, ligne droite, virage)
et un ensemble de gestes destinés à la communication (tapes,
mouvements du corps, gestes des bras, etc.).
Intégral
ou casque de type intégral : casque permettant une
protection maximale de la boîte crânienne car couvrant l’ensemble
de la tête du motard, du menton au sommet de la boite crânienne.
Il est toujours équipé d’une visière, de taille
variable, autorisant plus ou moins de vision pour le conducteur. Il
tend à atténuer les bruits ambiants. C’est le casque
le plus courant, tout particulièrement chez les utilisateurs
de moto « sportives ».
Jet
ou casque de type jet : casque léger, protégeant
la boite crânienne du motard, à l’exception de sa
face et ses mâchoires. Il ne présente pas de mentonnière
et dégage donc davantage le visage que les autres types de casques.
On le rencontre plus fréquemment chez les motards utilisant une
moto de type « custom » ou « basique ».
Le « jet enveloppant » couvre la boite crânienne
du bas des joues à la nuque et au front, alors que le « bol »
correspond aux casques courants des années 50, couvrant essentiellement
le haut de la boite crânienne. Ils ne sont pas homologués
pour un usage routier en Europe, à l’inverse des Etats-Unis
ou les « bikers » sont friands de cet équipement
minimaliste. On le rencontre également sous le terme de « casquette ».
Jumbo
run : il s’agit d’un rassemblement de motards où
sont présents de nombreux side-cars, surnommés « Jumbo »
pour « éléphant », en référence
à leur peu de maniabilité et leur encombrement comparativement
à une moto « solo ». Les side-cars sont
très demandés à l’occasion de ces événements
car ils permettent de transporter aisément des non-pratiquants
pour la parade rituelle. Ces passagers souffrent le plus souvent de
handicaps physiques et/ou mentaux, dus à un accident ou une maladie.
Le cas le plus fréquent consiste à engager dans la parade
des enfants malades, atteints par exemple de leucémie. En Hollande
ils se rencontrent sous le vocable de « Burgrun »,
alors que la formule « Jumbo run » est sollicitée
largement en Europe. Remarquons qu’en Allemagne l’« Elefantentreffen »
reprend l’idée du « jumbo run » mais
désigne un rassemblement en particulier et non le principe général.
L’expression s’accompagne généralement de la
désignation d’un site et du numéro de l’édition,
sous la forme « 3ème Jumbo Run d’Amnéville ».
Modulable
ou casque de type modulable : il présente l’apparence
d’un « Intégral » mais sa mentonnière
est articulée, ce qui permet au motard de dégager son
visage s’il le souhaite. Son poids est élevé et il
est généralement bruyant. Il est souvent utilisé
par les possesseurs de moto de type « Grand Tourisme ».
Plateau :
le terme générique « plateau » désigne
l’ensemble des épreuves hors-circulation que le futur motard
doit accomplir afin d’être titulaire du permis de conduire
catégorie A. Il est également sollicité afin de
désigner le lieu où se déroule l’entrainement
aux épreuves hors-circulation du dit permis. Généralement,
le « plateau » est un parking, plus rarement une
piste privée appartenant à la moto-école.
Rendre
la main : laisser partir le groupe en avant ou s’arrêter,
changer délibérément de rythme de conduite pour
adopter une vitesse inférieure à celle des autres personnes
présentes.
Rouler
au cap : ce type de conduite consiste, en vacances le plus
souvent, parfois en week-end prolongé, à ne pas utiliser
de carte routière ou de GPS mais à aller au hasard des
routes en suivant une direction peu précise, pour favoriser la
découverte de lieux peu fréquentés. Sa forme la
plus fréquente consiste à suivre les routes à l’envie
et au hasard, ou à suivre un des quatre points cardinaux à
l’aide d’une boussole.
Rouler
en mode lopette : rouler doucement, prudemment, comme animé
d’une paranoïa à l’égard de l’ensemble
des autres individus présents sur le réseau routier. Peut
être utilisé également pour désigner une
conduite calme, respectueuse de la législation, adoptée
en cas de fatigue ou dans des circonstances particulières le
justifiant (adhérence précaire, visibilité nulle,
neige, etc.).
Run :
voir « Arsouille ».
Rupteur :
il s’agit d’un dispositif technique installé sur de
nombreuses motos, coupant l’allumage lorsque le motard dose l’accélération
de manière trop généreuse et provoque un surrégime.
Le bruit produit est alors élevé et caractéristique,
aisément reconnu par tout motard. Les « rupteurs »
sont souvent sollicités au cours de manifestations, parfois en
conduite en guise de klaxon.
Sacoche
de réservoir : elle permet de transporter quelques bagages.
Elles sont généralement peu volumineuses, faut de quoi
elles masquent les instruments de la machine où gênent
les manœuvres du guidon. Il en existe deux types : aimantées
ou à clip. Dans le premier cas les réservoirs en métal
permettent de les fixer, dans le second cas est apposé un « tapis
de réservoir » (en cuir ou plastique souple) sur lequel
vient se fixer la sacoche. Elle présente généralement
une poche transparente en plastique sur son volet supérieur,
afin d’y introduire une carte que le motard pourra ainsi consulter
sans lâcher son guidon.
Saut
de vent : Un pare-brise de taille peu volumineuse, placé
à l’avant d’une moto sans carénage, sur le « phare ».
Il dévie assez peu l’air et a souvent une fonction esthétique,
davantage que pratique. Il est également qualifié de « bulle ».
Slider :
le terme, comme l’objet, est emprunté au monde de la compétition
où il existe depuis les années 70. Le « slider »
est composé d’une pièce ovale en résine résistant
à l’abrasion qui va glisser sur le bitume lorsque le motard
le touchera avec son genou. Le « slider » s’use
donc progressivement. Il permet au motard de poser son genou au sol
sans se blesser. S’agissant de la conduite sur route cet élément
se rencontre de manière peu fréquente en comparaison à
la pratique sur circuit. Il est bien souvent purement esthétique,
à l’image de passagères de moto « sportives »
dotées de cet équipement alors qu’elles sont installées
sur des places surélevées, rendant impossible le contact
avec le sol. Le « slider » équipe le plus
souvent les combinaisons de moto en cuir d’une pièce. Un
« slider » intact est un argument sollicité
dans les joutes verbales afin de critiquer la conduite d’un motard.
Cela amène deux réactions : « gratter »
son « slider » afin de lui faire perdre l’apparence
du neuf ; ôter les « sliders » de son
pantalon en cuir.
Stoppie :
figure de « stunt » qui consiste à lever
la roue arrière de la machine au freinage. Assez peu pratiquée,
elle est parfois réalisée par hasard, alors que le motard
effectue un freinage d’urgence. Plus la machine est légère
et son système de freinage performant et plus elle est à
même de réaliser des « stoppies ».
Nous ne l’avons quasiment jamais constaté dans la pratique,
à l’exception de quelques « stunters ».
Stunt :
terme anglais désignant une cascade. Il est utilisé par
les motards afin de qualifier un type de pratique spectaculaire, consistant
à réaliser des acrobaties à moto. Les « stunters »
sont soit des cascadeurs professionnels, soit des amateurs. Ils réalisent
un ensemble de figures acrobatiques rarement observées sur route :
« wheeling », « stoppie »
et « burn » pour les plus courantes. S’y
ajoutent un ensemble de figures décrites par des qualificatifs
imagés : « christ-air » (debout sur
le réservoir, bras en croix) ou « cobra »
(moto en « wheeling », tête baissée
touchant l’avant de la moto), par exemple. Le terme n’a pas
d’équivalent d’usage pour les motards, qui sollicitent
toujours le terme anglo-saxon. En principe le « stunt »
se pratique sur un espace dédié, fermé à
la circulation. Certains le réalisent pourtant sur route. La
pratique du « stunt » sous-entend alors une prise
de risque accrue, la chute est alors part du quotidien, de même
que la destruction de la machine. Si on se réfère à
la taxinomie réalisée dans notre thèse le « stunter »
est un pratiquant radicalement orienté vers le pôle kamikaze,
engageant l’objet de manière brutale.
Tas
(aller au tas) : synonyme de chuter. « Aller au tas »
équivaut à « chuter », « glisser »
(« faire une glissade »), « se gameller »,
« se ramer », « prendre une pelle »,
« prendre un volume », « s’en
mettre une bonne », « se manger » ou
encore « se ramasser » pour les seules expressions
que nous avons pu relever lors du travail de terrain. Ces expressions
sont sollicitées lorsque le motard chute seul, du fait d’un
défaut de maîtriser et/ou d’un aléa (freinage
d’urgence sur des gravillons, objet sur la chaussée en virage,
etc.). Lorsque la chute est due à un autre véhicule on
parle plus classiquement d’« accident »,
ou de « choc ».
Top-case :
il s’agit d’une boite en plastique dur (PVC) fixée
sur le porte-bagage de la moto, permettant de transporter un minimum
de bagages. Les motos en sont rarement équipées d’origine,
à l’exception des motos de type « Grand Tourisme »
qui présentent leur variante latérale, qualifiées
par les motards de « valises ». Généralement
équipé d’une serrure, le top-case permet par exemple
d’y stocker son casque. Cet équipement est le plus souvent
ajouté par les motards lorsqu’ils font un usage fréquent
de la machine dans le cadre de trajets domicile-lieu de travail. Les
motos de type « sportives » en sont très
rarement équipées.
Tout-droit
(faire un tout-droit) : se dit d’une situation particulière
de conduite, lorsque le motard entre dans un virage avec une vitesse
trop importante et ne peut maintenir la « trajectoire ».
En général il va alors redresser sa machine pour freiner,
ou la redresser du fait du freinage (réaction physique quasi-systématique
mais variable selon le type de moto), ce qui fait aller la moto vers
l’extérieur de la « trajectoire ».
Le motard et sa machine quittent alors la route, c’est le « tout-droit ».
Trajectoire :
la trajectoire est la direction prise par la machine dans une courbe.
Elle est calculée au préalable par le motard, mentalement.
Elle est « arrondie », part de « l’extérieur »
de la courbe, pour « plonger à la corde »
et « élargir la trajectoire » en « sortie
de virage ». Une bonne « trajectoire »
permet une vitesse de passage conséquente et une meilleure visibilité.
Au contraire, une « mauvaise trajectoire » mène
généralement le motard à circuler temporairement
sur la file opposée, dans le cas d’une voie à double
sens de circulation, ce qui entraîne un certain risque. Critiquer
les « trajectoires approximatives » des motards
avec lesquels on circule habituellement est un thème classique
lors des joutes verbales motardes. La faible largeur de la moto et le
déplacement de son centre de gravité lors des virages
(la moto « penche », s’incline pour compenser
la force centrifuge) autorise cet usage de la chaussée, alors
que la conduite classique d’une auto consiste à rester au
centre de sa voie de circulation. La trajectoire s’adapte en fonction
des circonstances (présence d’autres usagers, circulation
en groupe), de la configuration des lieux (route départementale
« viroleuse », ville, etc.) et de l’état
du revêtement (trous, bosses, gravillons, etc.).
Tuning :
le « tuning » consiste à modifier sa machine,
tant esthétiquement que mécaniquement, afin d’accroître
ses performances ou, et le plus souvent, de la personnaliser. D’un
modèle de grande série on parvient alors à une
modification donnant à l’objet un caractère unique.
Cette tendance est très présente dans le monde moto, de
nombreux motards modifiant, ne serait-ce que succinctement (échappement,
autocollants, pièces spéciales, etc.), leur machine.
Viroleuse
(une route viroleuse) : se dit d’une route où les virages
sont particulièrement nombreux. La route « viroleuse »
est le type même de la « route à motards »,
« la roue arrière encore dans le virage, la roue avant
dans le suivant ». Ce type de route est particulièrement
recherché et permet d’exercer ses talents de « pilote »,
dans l’exercice de la « trajectoire ». Il
s’agit principalement de routes de type départementales,
des « routes de montagne ». Certaines sont connues
de nombreux motards, qui s’y rencontrent parfois : la « route
des crêtes » Vosgienne pour les motards de l’Est
de la France, celle de Cassis ou de Menton pour les motards du Sud du
pays, la « vallée de Cheuvreuse » pour
les parisiens, etc.
Wheeling :
figure issue du « stunt », le « wheeling »
est probablement la plus ancienne. On constate sa présence avant
même l’apparition du mouvement « stunt »,
par exemple lors des présentations officielles de nouveauté
moto, à l’image de celle de la Yamaha 1200 V-MAX en 1985.
Réaliser un « wheeling » consiste à
lever la roue avant de la moto à l’accélération,
en s’aidant ou non de la commande d’embrayage (selon la machine
utilisée). C’est une figure très inégalement
appréciée des motards, peu rencontrée dans la pratique
à l’exception des « stunters ». Nous
l’avons tout de même observé à quelques reprises,
le plus souvent dans un contexte d’arrivée ou de départ
d’une « concentration » ou d’une « course
moto ».
François
oudin