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avec" ethnologique
L"être
avec" ethnologique : le cas des motards.
mardi 24 février 2004.
Petit
texte rédigé en cours de travail de Maîtrise, on
peut y trouver les grandes thématiques de létude
à venir ainsi que la présentation de limplication
du chercheur dans son terrain.
Les motards semblent constituer lexemple type dun objet
danalyse microsociologique délaissé. La perception
de lethnologie en tant que discipline avant-gardiste visant à
combattre les perceptions stéréotypées du corps
social y trouverait pourtant un large terrain dexpression. La
visée anthropologique de nombreux travaux mène à
négliger le pouvoir heuristique de la description quasi ethnographique
du local. Cela nenlève rien à la valeur réelle
de cette première qui mérite pourtant un complément
de terrain par une observation participante ciblée et détaillée.
Je crois en la valeur de lexemple et suis parfois sceptique quant
à une volonté outrageusement taxinomique couramment rencontrée
chez certains ethno-sociologues.
Venons
en au fait. Suite à un travail de terrain par incorporation dans
un groupe de motards - entre autres par le biais de la participation
à la formation au permis A - et utilisation des techniques dobservation
participante (fondamentale) et dentretiens prolongés la
description de lhédonisme motard prend du relief et se
détache des idées préconçues couramment
rencontrées à propos de ce milieu que lon peut qualifier
datypique (car minoritaire). Ne négligeons pas pour autant
la « connaissance commune » du motard, certains aspects
de cette dernière pouvant savérer fondés
tel que le lien risque/pratique de la moto. Le risque est en effet au
centre de la pratique de la moto. Il nest cependant pas recherché
pour lui même mais bien pour son contraire cest à
dire, à travers son omniprésence, pour la possibilité
de laffronter, de léviter et de le maîtriser.
Cest cette maîtrise sur le monde que le motard recherche
par son activité. Face à la désertion du sens de
nos sociétés dites « post-modernes » lhomme
a de plus en plus de difficultés à trouver sa place. Lexplication
religieuse du monde tend à disparaître (ou tout du moins
est de plus en plus controversée) et la science toute puissante
est peu à peu dénigrée par les dégâts
quelle peut occasionner en adéquation avec une perception
« matérialiste » - voir même industrielle -
du monde. Lhomme en quête de repères, dexplication
transcendantale de son lien avec le monde entre alors en contact avec
lui par le biais de la machine. La dialectique homme/moto permet au
motard de percevoir le sens du monde qui lentoure de façon
nouvelle.
Par
le rite de passage quest la formation au permis moto lhomme
acquiert un statut reconnu par la communauté des motards. Il
intègre ainsi un nouvel ordre du monde qui se veut moins individualiste
et permet par sa constitution en « clan » une conscience
de groupe ainsi quun retour à des valeurs négligées,
selon lui, dans nos sociétés telle que la solidarité.
On remarque ainsi une certaine éthique du motard bien que, dans
les faits, son application soit différente selon les personnes.
Un ethos commun ne signifie en effet pas un nivellement des différences,
la façon de vivre revendiquée par le motard sincarnant
de façons diverses selon son propre rapport au monde. La revendication
de laspect passionnel de la pratique de la moto est forte. Face
à « laseptisation » moderne et à la
distance croissant établie entre lhomme et le reste du
monde le motard propose dentrer en contact direct avec la réalité,
de restaurer sa place à lhomme et de cesser de nier son
appartenance au monde résultant dune croyance faisant de
lhomme le pendant de Dieu sur Terre, le tenant de lomniscience.
Cest
en quelque sorte une leçon dhumilité que le motard
adresse à lhumanité. Il désire retrouver
sa place au sein du monde car est conscient dy être intégré
; cest le sens de cette affirmation que permet de retrouver la
pratique de la moto, entre autres, par la réaffirmation de «
lhumanité » de lhomme notamment en restituant
une place importante à la question de la mort. Celle-ci est en
effet sous-jacente dans le motocyclisme à travers laccident
et, à lextrême, dans ce que David Le Breton qualifie
« dordalie » alors quelle constitue un des tabous
majeurs de nos sociétés.
Le
thème est encore vaste et mon approche na pas la prétention
dêtre exhaustive. Limplication de chercheurs dans
le domaine local - ou national - est une nécessité. La
description ethnologique voir ethnographique constitue, en mon sens,
la meilleur façon dappréhender les changements importants
vécus par lhomme en cette fin (ce début ?) de millénaire,
sa façon dévoluer qui passe souvent aujourdhui
par un intermédiaire technique dans une relation à trois
termes : homme, machine, monde. La machine étant située
entre lhomme et le monde et bâtissant par sa dialectique
davec lhomme un nouveau rapport au monde.
François
oudin