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A propos du questionnaire.
mardi 24 février 2004.

Petit texte de réflexions personnelles issues des entretiens effectués au cours du travail de mémoire de Maîtrise.
Lors du travail d’élaboration du questionnaire et suite à un entretien de nombreuses questions me sont apparues comme essentielles et auparavant négligées. En effet, à la relecture de la transcription de divers entretiens il m’est apparu clairement que certaines relances ou certaines questions pouvaient influencer l’informateur. Doit - on pour autant s’en tenir à un schéma de questionnaire rigide et non adaptable à la situation et à la personne qu’est l’informateur ? Je ne le pense pas. Un questionnaire général peut être parfaitement compris par un informateur et mal interprété par un autre.

Il faut, j’en suis convaincu, adapter son questionnaire aux caractéristiques de la personne présente lors de l’interaction qu’est l’entretien. Un questionnaire trop général et par là même froid ne fait que générer une distance entre l’informateur et l’ethnologue, celle ci s’avère nécessaire lors de la phase de laboratoire mais doit, dans un soucis de préservation des données générées par le questionnaire, être minime ou tout du moins la plus réduite possible.

C’est alors que l’on perçoit le réel problème : la proximité qu’exige la méthode ethnologique ne permet l’efficacité de cette dernière que lorsqu’elle s’assortit d’un temps long. Il est très difficile d’obtenir cet élément étant donné le cadre du travail de terrain borné par des limites rigides de temps résultant d’un cursus de formation.

Les données de l’entretien doivent donc être relativisées à la lumière de ces éléments. Il ne faut pas pour autant négliger ou ignorer ce que l’informateur a à nous dire, en effet, celui ci a généralement un message à faire passer ( cela se sent parfois au cours des entretiens menés se transformants en monologues ). L’ethnologue doit réorienter l’informateur mais ceci de façon très générale afin de ne pas « castrer » le désir d’expression de l’informateur et de ne pas créer un malaise très préjudiciable ( surtout lorsque la relation ethnologue/informateur n’est pas encore très avancée ). La position de l’ethnologue n’est alors pas aussi simple que celle du « sujet supposé savoir », loin s’en faut ! Il est à la fois le chercheur, l’ami, le collègue, le demandeur, parfois le confident et surtout un vecteur d’expression perçu par l’informateur comme un moyen de diffusion de l’information. Cette position est donc à considérer, cela apparaît clairement dans certains entretiens 1 ou par exemple l’on passe subitement du vouvoiement au tutoiement. La structure même de la situation d’entretien avec tout ce qu’elle a de formel ( questionnaire, magnétophone... ) peut générer un repositionnement vis à vis de l’informateur. Celui ci risque de provoquer un malaise non dit mais palpable. L’informateur ne s’attendant probablement pas à être mis dans un tel type de situation.

C’est pourquoi, à la lumière d’un tel problème il importe de reformuler son questionnaire sur un autre mode par exemple sur un langage plus intimiste, moins « professionnel ». Il n’est jamais bon de penser sa place d’ethnologue comme acquise, l’ethnologue est toujours, selon moi, d’abord un ami, une connaissance, une relation, sans quoi l’ethnologie n’aurait plus le même sens. Lors de l’entretien l’ami devient l’ethnologue, il faut alors travailler cette transition afin d’exclure toute brutalité même si l’informateur a généralement une idée de ce qui va se passer. Un entretien ne peut en effet se faire sans son accord et il faut donc lui avoir présenté, ne serait ce que brièvement, de quoi il retourne. L’ethnologue/ami doit donc « agrémenter » son questionnaire pour l’adapter à l’informateur et ne pas effrayer celui ci par une trop grande mise à distance due au passage du statut d’ami à celui d’informateur voir « d’interrogé ». Erving GOFFMAN nous dirait que ce changement de « face » mène à une « gestion » de cette dernière par une lutte pour préserver l’image que l’on veut donner de soi, il faut donc informer notre interlocuteur du maintient de sa qualité, de sa « face » afin d’instaurer un rapport de confiance permettant une réelle complicité dont découle l’expression sincère et l’absence de discours convenu ou de banalités souvent usitées pour « meubler » une situation formelle dans laquelle on ne se sent pas à l’aise.

Il me semble très important lors d’un travail de mémoire ( quel qu’il soit : licence, maîtrise, DEA... ) de tenter de compenser, autant que faire ce peut, l’absence de temps long disponible par l’instauration d’un rapport sans ambiguïté, ne variant pas brutalement alors que chacun commence à peine à trouver ses repères et à instaurer sa « face », garant d’une confiance mutuelle permettant à l’informateur de ne pas se sentir menacé, de sentir que sa « face » n’est pas destituable et sera conservée à l’identique. Alors de réelles confidences ( le terme n’est pas trop fort à mon sens, si l’on exclue son aspect « confession » ) peuvent s’effectuer, garantes d’informations personnelles nécessaires à l’ethnologue et non de tentatives de restauration de la face.

Une précision doit être faite ici : j’ai cru remarquer au cours des entretiens menés pour les travaux de mémoire de licence et de maîtrise que les réparties des informateurs se font généralement sur deux registres : personnel ou collectif. Je m’explique : il est souvent perceptible dans les transcriptions que l’informateur alterne ses opinions personnelles faites généralement de confidences, d’anecdotes, voir de réponses quelques fois un peu emportées ou tout du moins visant à obtenir un effet sur l’ethnologue et des expressions qui semblent relever d’un « courant » collectif voir même parfois d’une idéologie de groupe révélée par l’utilisation du « nous », lequel est souvent relativisé par l’informateur qui précise son désaccord ou sa position spécifique face à le théorie du groupe, à ce que le « nous » exprime en termes de nivellement des différences. L’informateur est le sein de la lutte entre sa « face » singulière, propre et le groupe auquel il appartient de fait, ne serait ce que par la demande de l’ethnologue. Ce conflit interne ou tout du moins cette ambivalence doivent également être considérés lors de l’analyse des entretiens si l’on veut ne pas mélanger ce qui relève de la confession ( je préfère ce terme à aveu qui relève trop d’un vocabulaire policier dont l’informateur est déjà lourdement affublé, il faut, bien entendu, dénuer le terme confession de toute connotation religieuse ) et ce qui consiste à présenter les caractères généraux d’un groupe auquel on ( l’informateur ) reconnaît une appartenance tout en revendiquant une singularité.

Voilà dans quelle optique, selon moi, doivent être réalisés des entretiens et selon quelles considérations théoriques ils sont à aborder. La base de traitement des données est la confiance, si celle ci est réelle il n’y aura pas de vrai ou de faux au cœur des entretiens mais seulement la perception de la réalité selon les informateurs et selon le groupe auquel ils appartiennent. L’ethnologue leur attribue alors cette nouvelle place d’informateur/ami au même sens qu’il est, lors de l’entretien, un ethnologue/ami, ce qui permet son travail et la réelle qualité de celui-ci.

Déclarer que la situation d’entretien est basée sur la relation ethnologue/informateur est exact mais consiste en une simplification que l’on pourrait même qualifier de purification. En ce sens les positions somme toute théoriques d’informateur et d’ethnologue ne sont pas fidèles à la réalité effective de terrain et doivent être affinées si l’on veut éviter de masquer une part de la situation et son élimination lors de la phase de laboratoire par cette purification permettant de démontrer l’accord parfait entre théorie et pratique ce qui relève, en mon sens, de l’utopie.

François oudin