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La prise de drogue en rave : exemple d’un mémoire de licence (2000)

Ce texte est un résumé du mémoire de licence que j’ai pu effectuer en 2000. Il permettra aux plus jeunes étudiants -et nottament à ceux dont le cursus de DEUG se termine actuellement- de réaliser à quel type de travail invite l’ethnologie. Ce mémoire n’est pas exempt de critiques, j’ai cependant choisi de le présenter tel quel, "brut", afin d’illustrer comment peuvent s’incarner très simplement des questions comme celles du travail de terrain, de l’analyse des entretiens chez un chercheur découvrant l’ethnologie. Il serai probablement nécessaire d’actualiser ce travail. On découvre en effet déjà en 1999/2000 à quel point le terrain est instable, changeant et semblait se profiler alors une "radicalisation" de la musique (accroissement du rythme notamment, c’est-à-dire des "battements par minutes" ou bpm) et une banalisation du mouvement, vécue par certains comme une perte d’importance de la "philosophie" de cette pratique devant des objectifs commerciaux et ludiques. Ce petit texte invite donc également à poursuivre, critiquer et réinvestir cette thématique, soumise à d’importants changements durant les quelques années qui se sont écoulées depuis l’évocation de cette piste de recherche. Veuillez donc pardonner certaines approximations méthodologiques ou rédactionnelles, inhérentes à ce premier travail. Bonne lecture.
François Oudin

RAVE ET PRISE DE DROGUE.

Mémoire d’ethnologie rédigé à l’Université de Metz. Année 1999/2000.

INTRODUCTION

Nous avons tous entendu parler du phénomène techno. Aujourd’hui rares sont les gens qui ignorent à quoi correspond globalement le terme générique techno. Ce phénomène est devenu au fil des ans une véritable culture, submergeant la production discographique, textile ainsi que les boîtes de nuit... Cela est une réalité aujourd’hui, la techno s’est banalisée. Ce type de musique touche généralement les jeunes mais pas seulement eux. A côté de toute cette agitation commerciale perdure ce qui était à la base du mouvement techno : les raves, fêtes généralement gratuites, souvent non autorisées et toujours dédiées au plaisir de se retrouver pour danser sur de la musique techno toute la nuit ou plus.

Mon idée première quant au ciblage de mes informateurs était de m’intéresser aux personnes qui ne fréquentaient que les raves. Je me suis vite aperçu que c’était en pure perte, tous les gens que je rencontrais au cours de raves (légales ou non) étaient généralement amateurs de boîtes de nuit "traditionnelles" et de soirées médiatiques. Qu’importe, ces derniers ayant accepté de m’accorder un entretien il ne me restait plus qu’à mieux définir ce petit groupe d’amis. Ils ont entre 21 et 24 ans, ont fréquenté tout type de soirées techno, consomment des drogues et sont prêts à me faire part de leur expérience.

Tout le travail qui suit est basé sur les entretiens effectués avec G, E et Q et sur différentes lectures. Il ne se veut pas omniscient et ne prétend pas à travers l’exemple de ces trois personnes décrire la totalité des jeunes adeptes des soirées techno et de la drogue. Les observations ainsi que les interprétations ne sont valables que pour ces trois personnes, seul un travail d’abstraction et de théorisation plus poussé pourrait mener à une théorie générale encore réservée. Cependant quelques éléments redondants sont à signaler et même s’ils ne consistent peut-être qu’en des cas particuliers leur valeur heuristique n’est pas à démontrer. De plus les lectures annexes tendent à montrer la validité de certains points exprimés par les interviewés. Ces aides extérieures permettent de cerner le "déjà vu" et de se baser sur ces données pour tenter d’aller plus loin, de découvrir, de s’étonner et de théoriser quelque peu ce qui est en finalité le but de tout travail de recherche.

La restitution de mon travail a été organisée selon ces événements redondants et leur prolongement, bien entendu ils ne sont pas uniquement le fait des interviewés mais également le mien, mon questionnement, ma problématique et même tout simplement les questions posées lors des entretiens ont pu influer sur mes interactants. Ainsi le fil de ce travail peut paraître quelque peu "calqué" sur le déroulement des entretiens et cela en toute logique, en effet la part de parole des personnes rencontrées se veut prépondérante. Elle est évidemment complétée du savoir engendré par l’observation participante effectuée.

Tout d’abord nous aborderons ce qui est considéré par mes informateurs comme une soirée type par une brève description et l’évocation de ce qu’ils considèrent comme les éléments principaux de cet événement. Cela nous permet d’accéder aux thèmes soudés de la danse et de la musique. Viendront ensuite les relations au sein de la soirée et la perception de ces dernières. Puis nous développeront une partie importante intitulée "fête et drogue". Nous y aborderons le lien entre ces deux événements, la motivation des interviewés quant à la prise de drogue, les différentes drogues et leur perception et un thème important : le risque lié à la drogue. Enfin je cadrerai mon approche sur un thème qui me tient à coeur, celui de l’identité. C’est en quelque sorte le moteur de cette recherche, j’aborderai ici la théorie de l’identité des "gobeurs" en rave selon Astrid Fontaine et Caroline Fontana que je me permettrai de modifier quelque peu.

I/UNE SOIREE TYPE.

1. Description.

Comme cela a été spécifié dans l’introduction le public considéré participe à deux grand types de soirées : les raves et les soirées dites classiques. Il est à noter que les interviewés mobilisent généralement les deux types en même temps lorsqu’ils évoquent quelques généralités sur les soirées, on entend parler de "grandes fêtes très organisées" et de "petites dans des villages". Pour eux les "boîtes de nuit" sont un cadre des plus "classique" et ils avouent généralement une préférence pour les fêtes en "plein air", les "raves parties aussi bien dans des forêts de sapin, bien situées, à l’écart de tout dérangement... ou alors (...) des champs tout simplement, tous les endroits où l’on peut mettre un peu de musique sans déranger le voisinage". Le plus étonnant est le fait que les grandes soirées prestigieuses souvent qualifiées de "commerciales" au sens le plus péjoratif du terme restent pourtant très gravées dans leur mémoire.

La variété des soirées semble un élément important, les soirées fréquentées vont du type cité ci-dessus à des fêtes dans "des forts qui étaient quand même un peu lugubres (...), plus malsain" ou "dans des lieux improvisés du genre y’avait un sous-sol dans un kebab... ou en général dans des cafés". Il faut dire que les interviewés allaient à "tout ce qui se passe" dans le milieu techno dans la région.

Tout ceci pour dire que la description qui va suivre est fournie à titre indicatif et ne représente en rien la totalité des soirées fréquentées par les jeunes "takers" (adeptes des soirées techno).

La soirée présentée s’est déroulée au mois d’août 1999, dans un champ privé proche de Phalsbourg, en Moselle. Le décor était très simple, constitué d’une scène sur laquelle se produisait un DJ avec ses platines, de chaque côté de la scène étaient placées une rangée d’enceintes et un ensemble de jeux de lumière, cette scène était décorée par des motifs fluorescents psychédéliques. Devant cette scène se trouvait la piste de danse, à même le sol, que rien ne désignait particulièrement comme telle si ce n’est la présence des danseurs. Derrière la piste se trouvait un petit bar où l’on pouvait acheter à boire, principalement de la bière. Plus loin on trouvait deux annexes : un barbecue et un grand feu autour duquel les plus fatigués venaient se reposer un instant pendant qu’une personne jouait de la guitare. Le terrain était à l’écart de toute habitation (la plus proche devait être à environ cinq kilomètres) et difficile à trouver. Les indications du flyer (sorte de petit dépliant publicitaire, généralement artisanal, qui est distribué au sein d’un réseau d’interconnaissance voir dans certaines soirées) étaient volontairement incomplètes et menaient à quelques kilomètres de la fête c’est à dire une distance où l’on commençait à entendre la musique. A partir de là c’est celle-ci qui nous a guidé, ainsi que les participants en route, pour le lieu prévu. Environ 500 personnes étaient présentes, les âges semblaient compris dans une fourchette de 13-28 ans environ avec quelques exceptions (j’ai aperçu une personne d’environ 40 ans). La longue durée est un élément important de cette soirée (ce que l’on peut aisément généraliser à toutes les raves), installée dans l’après-midi elle a réellement débuté vers minuit pour ne finir que tard dans la matinée (nous sommes parti à 7h15 et la fête n’était pas finie). L’activité centrale est la danse. Viennent ensuite les relations établies au sein du groupe au sens large. Nous reviendrons sur ces questions plus longuement lors de leur évocation détaillée.

2. La fête.

a. Fête autorisée / non autorisée.

Comme nous l’avons vu dans la partie précédente le public considéré fréquente indifféremment des fêtes autorisées ou non, cependant celles-ci ne génèrent pas une même image et n’engendrent pas un même souvenir.

Les fêtes autorisées sont généralement décrites comme plus grandes, "médiatiques donc légales", "chères". Ils reconnaissent cependant avoir fréquenté assidûment une "boîte de nuit" où "l’ambiance" était " très conviviale" bien que celle-ci reste tout de même "complètement différente" de ce qui se passait en plein air, sans autorisation. Reste le cas de ce que E évoque comme étant des "raves (...) en gymnase ou salle des fêtes donc avec autorisation communale", ce cas semble se situer à mi-chemin entre l’autorisé et l’interdit. Ce cas que l’on pourrait considérer comme un compromis engendrait cependant "une ambiance différente des fêtes en plein air sans autorisation", en effet le petit plus de la fête interdite réside en son côté transgressif.

Les fêtes non-autorisées sont perçues comme à la fois plus glauques et plus sympa, elles se font toujours en petit nombre (ce qui en fin de compte très relatif, selon mes informateurs cela pouvait osciller entre 40 et 1000 personnes voir plus). Nous avons vu que la fête autorisée est généralement chère à l’inverse des fêtes interdites qui sont "gratos ou dix, vingt francs de paf (participation aux frais)". Le caractère principalement revendiqué en ce qui concerne les fêtes non-autorisées est le côté transgressif, "à l’encontre des choses, de la société". A cela s’ajoute parfois le non-respect des autorités, j’ai par exemple entendu dire : "les gendarmes sont venus souvent et râlaient à cause du bruit mais bon ben ils étaient deux et nous 500 alors...". La rave est une rupture d’avec les normes habituelles, tout l’ordre social est chamboulé, un nouveau monde social est créé d’où sont généralement exclues les autorités habituelles. Dire que ce caractère est revendiqué peut paraître fort et pourtant il illustre bien la réalité, le "goût de l’interdit" est même parfois qualifié d’"attrait principal" de ces soirées.

b. Ses éléments principaux

Dans une soirée, il y a différents éléments principaux cependant ceux-ci doivent, selon les interviewés, être perçus comme un tout cohérent et non comme une somme d’éléments divergents, pour eux le tout est plus que la somme des parties.

Ce tout est constitué de "la musique" à travers "un DJ (...) qui assure", cette musique ne doit pas s’arrêter, son caractère ne doit pas être éphémère, la répétition et la longue durée sont nécessaires. Une autre caractéristique majeure d’une fête réussie consiste en la qualité des personnes présentes, il faut en effet "des gens sympa qui bougent mais qui sont pas speeds (nerveux, agressif)", la soirée doit se dérouler dans "la bonne humeur" ce qui permet un contact aisé nécessaire à l’épanouissement de tous les participants. Ne pas connaître les gens et nouer contact malgré tout est très valorisé, selon E le plus marquant "c’était l’atmosphère, c’était les phrases éphémères qu’on pouvait échanger avec des gens qu’on ne connaissait pas". Les derniers éléments importants de la soirée sont le "lieu", "le cadre" ainsi que "la drogue".

c. Quelques généralités sur la dimension donnée à la fête.

"Le raver tente d’échapper au monde des normes et des valeurs et de sortir de lui-même, de son propre conditionnement." (Raver p.95 Astrid Fontaine et Caroline Fontana).

C’est un peu ce que j’ai ressenti en écoutant mes informateurs évoquer le sens qu’ils donnent à la fête et leurs motivations, ceux-ci évoquent simplement et très clairement leur désir de coupure, d’un épisode différent : la fête "ça me faisait me marrer au moins, m’éclater, pas comme la semaine au bahut (lycée)", c’était "un moyen de faire un break" dans "un lieu un peu coupé pendant quelques temps pour que y’ai tout qui sorte... pour que tu puisses te lâcher, pas jouer un rôle comme tu fais tout le temps dans la vie". La fête est bien perçue comme "un moyen d’évacuer l’oppression quotidienne" et ceci par "un état second" obtenu grâce au cadre spécifique et à l’utilisation de psychotropes.

II/ LA DANSE - LA MUSIQUE. Eléments-clés de la soirée.

Nous avons vu que la musique est centrale dans la soirée à travers la figure du DJ et la danse qu’elle permet. Celle-ci est à la base de la transe engendrant la rupture d’avec le quotidien. Cette musique est variée, elle est principalement constituée de la jungle, l’ambient, la techno/trance, le happy hardcore/4beat et la house/garage. Voyons brièvement en quoi consistent ces musiques :

jungle : elle se caractérise par un rythme hyper-syncopé à la batterie, aux alentours de 160 battements par minute. La basse et les parties chantées sont en général plus lentes. Il existe différents types de jungle conçus sur cette base : "ragga jungle", "intelligent jungle",...

ambient : c’est Brian Eno qui a lancé ce type de musique dans les années 70, mais il a fallu attendre l’explosion des années 90 pour le remettre à l’honneur. Ce rythme sage convient parfaitement aux fins de soirée et à la "descente" (période durant laquelle l’effet des psychotropes s’amenuise), au point que les clubs de la matinée en font un usage intensif. L’ambient classique n’a pas de cadence très marquée, c’est une musique totalement fluide et aérienne.

techno/trance : la techno a été créée dans la ville industrielle de Détroit, au début des années 80, et s’est ensuite développée en Belgique et en Hollande, à la fin de la décennie et au début de la suivante. Contrairement à d’autres types de musique, la techno, en principe, ne repose pas sur le sampling. Elle est assez novatrice, au contraire, et souvent minimaliste. Elle se compose de plusieurs "couches" de mélodie superposées, en général sur un tempo à la basse. Ces superpositions sont possibles grâce à une technologie avancée, essentiellement des synthétiseurs et instruments analogiques. Le rythme oscille de 120 battements par minute en France à plus de 150 en Allemagne. En principe, la techno ne comporte pas de texte chanté et, s’il y en a, il est réduit au strict minimum.

happy hardcore/4beat : il a fait une timide apparition au début des années 90, pour se tailler finalement un vraie place en 1995. Issu de la rave music, le happy hardcore est diffusé parallèlement à la jungle, et par les mêmes DJs. Il s’agit pourtant de musiques très différentes. Le happy hardcore est l’héritier du hardcore, en un peu plus soft. Il comporte au minimum 160 battements par minute, des riffs au piano et une partition de batterie à quatre temps, très forte. Les parties chantées sont assurées par des voix féminines.

house/garage : le phénomène house music a pris naissance à Chicago au milieu des années 80, dans les clubs gays underground. Le premier exemple du genre est le First Choice de Frankie Knuckle : il a pris un album disco, et il l’a traité façon house en modifiant les sonorités.

1. La musique.

Le type de musique écouté par le public considéré est varié, ils écoutent de la "house", de la "techno", de l’"acid", du "hardcore" et de la "jungle".

La musique techno, au sens général du terme, est selon tous mes informateurs une musique qui leur est apparue comme nouvelle et originale, bien sûr cela ne s’est pas fait immédiatement à la première écoute mais bien lors de la première rave. Ce type de musique révèle sa portée réelle au cœur de la fête. Dans ce cadre précis la musique acquiert une nouvelle dimension, selon G : avant de sortir "je trouvais que la techno c’était toujours pareil et que c’est pas de la musique". "Après la première teuf (fête) j’ai changé d’avis". Il semble que pour eux la musique en dehors de la soirée n’a apparemment aucun intérêt, seul le bloc musique-rave signifie quelque chose. La "première soirée" est souvent évoquée telle une initiation, parfois seul, parfois en groupe mais, caractéristique étonnante, toujours avec un guide, un initiateur qui lui aussi est passé par là et reproduit ce qu’il a vécu. La première soirée donne lieu a un rite de passage important au sein du milieu techno, l’initiateur est celui qui donne les instructions, fournit la drogue et assiste les initiés durant la soirée. Ce n’est probablement pas toujours le cas mais cela est général chez les personnes interrogées. Il faut tout de même spécifier que dans une soirée les "gobeurs" sont minoritaires et que l’initiation ne passe pas forcément par la prise de drogue.

Après ce stade, le rapport à la musique électronique change radicalement, nombreux sont ceux qui alors n’écoutaient plus que ce type de musique, il y a eu "ségrégation des autres soirées". La techno fait accéder les initiés à un nouveau rapport à la musique : "je pensais pas avant la techno (...) que la musique aurait une telle emprise sur les personnes". En cela l’exemple de Q est probant, il nous dit qu’"avant de fréquenter des soirées techno ce que je cherchais dans la musique c’était des textes, c’était des émotions données, dites (...), dans la techno y’avait pas tout ça, y’avait pas de texte, c’était surtout un moyen de s’éclater et de la vivre de l’intérieur (...), c’est une musique de sons, c’est une musique qu’il faut apprendre à connaître".

La musique est l’élément central de la soirée et c’est elle qui rassemble, qui fédère. On sent alors que l’on fait partie d’un groupe, "quand tu fais une soirée tu te trouves dans un contexte où c’est des centaines de personnes voir des milliers de personnes qui écoutent ton type de musique", la musique crée le lien et unifie pour quelques temps les différences des ravers, une unité est alors ressentie. De plus la musique semble être un catalyseur d’émotions au même titre que la drogue, ces deux éléments sont d’ailleurs souvent cités conjointement. La musique techno est qualifiée de "virtuelle (...) parce que y’a pas de parole, pas de message, c’est une musique pas pour penser, pour se lâcher sur des sons, (...) une musique faite pour danser", elle apparaît comme un moyen et non une fin, elle fait entrer dans un état second comme la drogue et permet alors en quelque sorte un phénomène de transe. Nous verrons cela plus en détail lorsque nous parlerons de la danse.

Le parallèle entre musique et drogue ne s’arrête pas là, non seulement elles permettent toutes les deux la recherche d’état second mais elles sont généralement mobilisées ensemble, la musique étant "très hypnotique", elle "transporte par les sensations" et "les fluctuations de la techno faisait que ça ... ça fasse monter ou descendre les effets de l’ecsta", ces fluctuations ainsi que le caractère répétitif voir cyclique de la musique techno permettent d’accéder à un autre stade : "tu peux justement t’évader parce que (les sons sont) répétitifs, tu vis pas les choses comme s’il y avait un texte, une structure musicale plus complexe et donc y’avait des accélérations, des descentes, des choses comme ça qui, qui permettaient de vivre les choses avec les tripes". Il est à noter qu’ici le vocabulaire spécifique à la musique est le même que celui utilisé pour la drogue, en effet lorsque mes informateurs évoquent la prise de drogue ils parlent de "montée" pour signifier le moment durant lequel le produit commence à faire son effet et de "descente" quand l’effet se calme et reste bas, en fin de soirée généralement. La musique est définie sur le même schéma : succession d’"accélérations" ou "montées" et de "descentes", moments plus calmes. Cette homologie structurelle entre musique et prise de drogue est tout de même assez troublante, cela est peut être dû au fait que mes interviewés mobilisaient généralement ces deux éléments en même temps et probablement le fait de la naissance d’un nouvel univers de sens par cette sollicitation conjointe.

Le fait que mes informateurs aient fréquenté des soirées assez longtemps leur permet d’émettre une critique sur l’évolution des soirées, ils regrettent que la musique devienne de plus en plus violente. Selon eux les gens ne "scotchent (restent) pas à la piste" longtemps, ils "sautent dans tous les sens" et sont vite fatigués. Le changement de musique modifie toute l’ambiance des soirées, "ça influence sur la soirée la musique, c’est sûr qu’une soirée house les gens seront beaucoup plus ouverts qu’avec des sonorités oppressantes" comme c’est souvent le cas dans le hardcore aujourd’hui massivement diffusé dans les soirées. De ce fait découle suivant : "dans ces teufs ça fait une somme de personnes pas liées", les gens sont "graves parce qu’ils sont seuls dans leur trip (délire, monde)", on ne peut plus faire de rencontre comme avant à cause de l’"oppression de la musique". L’esprit originel de la fête n’est selon eux plus conservé. On décèle derrière leurs arguments une pointe de nostalgie qui nous mène à tempérer quelque peu ces affirmations bien que l’évolution de la musique dans le cadre des soirées m’a semblé réelle. De plus l’homologie structurelle entre les phases de la musique et celles de l’effet de la drogue n’est plus respectée ce qui génère un malaise.

2. La danse.

Celle-ci est directement liée à la musique, en rave, l’une ne va pas sans l’autre. J’ai évoqué précédemment de façon succincte la question de la transe en rapport avec la musique, elle devient plus palpable dès lors que l’on parle de la danse.

a. La danse mène à la transe.

La transe est généralement permise par différents critères dont la musique, la danse, la fatigue physique, l’absorption de produits permettant un état second (drogues, alcool...), parfois également le jeûne. Cela n’est pas le propre des sociétés que certains qualifient d’archaïques (à tort d’ailleurs, cela relevant de l’évolutionnisme le plus élémentaire) mais bel et bien une donnée anthropologique au sens ou les caractéristiques de cet événement se retrouvent dans des sociétés radicalement différentes, certes la forme change mais le fond reste semblable si l’on prends la peine d’établir quelques comparaison avec, en toile de fond, une certaine relativisation culturelle. En soirée techno on ne mange pas, on prend souvent de la drogue, on danse toute la nuit sur de la musique rythmée. Les "ravers" disent qu’ils dansaient "toute la nuit comme (des) fous", de plus cela ne les "fatiguait pas". Le fait de se trouver dans cette ambiance particulière et dans l’état psychique et physique qui en résulte génère la transe de façon inexorable. On a l’impression à l’écoute du discours des informateurs qu’un principe transcendant s’est emparé de leur corps : "je savais pas danser et la première fois cash (de suite) je danse toute la nuit et ça m’a plu à mort (beaucoup)... je voulais pas m’arrêter", "j’ai été tout léger et la musique elle me poussait", "mon corps faisait ce que la musique voulait", "je me laissais aller et j’étais envahi par la musique". D’autres disent "c’est une musique qui, quand même qui vous emporte donc y’avait une espèce d’extase rien qu’avec la musique", "y’a une espèce d’inconscience, on est plongé dans la musique et on oublie, on fait le vide avec ce qu’il y a autour", "ça permet de s’échapper", "s’échapper du quotidien" ou encore "je dansais pour me satisfaire (...), pour être dans mon monde (...), je suis en même temps loin de moi et loin des choses qui sont quotidiennes (...) et en même temps ça procure du plaisir parce que justement on est loin".

A travers cette transe se dessinent des thèmes prédominants : ceux de l’oubli de soi et du voyage, éminemment symboliques et signifiants. Une seule personne a tenté de tempérer ces affirmations par le fait que tout cela était du "à la dope" donc à la drogue et ainsi n’était pas réel. Cependant cela n’empêche en rien à mon avis le phénomène de transe, bien au contraire, la drogue semble même être un instrument central de l’accès à un état de transe.

Cette transe est collective par le caractère englobant de la musique qui emplit le lieu de la fête et stimule tous ses participants de façon synchrone, elle engendre donc une communication.

b. La danse comme communication.

La transe collective est conçue de la manière suivante : "tu bouges avec tout le monde et tous tes potes (amis) en même temps, y’a des fois comme une unité", "comme si quelque chose passait par la danse". La danse crée le lien par l’assimilation d’autrui à soi ou à une partie d’un collectif dont ego fait partie. Le fait que ce lien engendre une communication est sensible dans le discours des informateurs, selon eux la danse facilite le contact : "je les connaissais pas et pourtant on était pendant un bref instant vachement (très) proches... et ça c’était grâce à la danse". Cette communication est différente de celle rencontrée habituellement, le nouveau contexte créé ici détermine une communication non orale mais plutôt gestuelle ou corporelle. En effet au cours d’entretiens informels dans des soirées de nombreuses personnes m’ont évoqué l’importance des "échanges de regards" qui constituent le moyen de communication, d’échange privilégié lors de la danse. L’attitude corporelle l’est également, j’ai déjà constaté à plusieurs reprises que sur la piste de danse les gens se mettent parfois à imiter une personne du groupe, sa façon de danser, l’unité ressentie est traduite par cette imitation.

Danse et musique sont liées et même inséparables, de plus elles sont à n’en pas douter les éléments clés de la soirée. Elles permettent, avec l’aide de la drogue, la transe et une communication bien particulière car différente de celle habituellement vécue. Celle-ci n’est en effet pas verbale mais corporelle, certes elle existe déjà dans un cadre journalier mais ici elle devient la méthode de communication principale, celle qui est valorisée, un renversement est effectué, découlant de la recherche de rupture d’avec le quotidien et de la création de nouvelles règles d’interaction sociale.

Ce type de communication est permis par la transe mais les ravers ne passent pas la soirée entière en transe, il serait donc réducteur de ne pas examiner plus en détail les rapports interpersonnels lors du reste de la soirée.

III/ RAPPORTS INTERPERSONNELS ET COMMUNICATION

1. Généralités.

Dans les soirées le type de rapport entre personnes est très "amical, voir plus (et) même souvent plus". L’ambiance est "toujours sympa", "tout le monde sourit et discute". Il est vrai que l’ambiance m’a paru décontractée, les gens cherche beaucoup le contact et viennent spontanément discuter, créer du lien, ce qui n’est pas forcément le cas dans la vie quotidienne où les rapports sont conçus de manière différente.

En soirée on a le "contact facile". Cela va même souvent plus loin, il n’est pas rare de voir des personnes s’embrasser. Parfois une personne passe dans la foule à côté de la piste et embrasse des gens au hasard quel que soit leur sexe, leur âge, leur apparence. Cela m’a beaucoup étonné, j’en ai alors parlé à mes informateurs privilégiés qui m’ont dit avoir ressenti le même besoin et qu’ils s’étaient d’ailleurs parfois embrassé entre eux et ceci de façon plus ou moins répétée. Personne ne s’émeut de cette situation et même les personnes venues en couple se comporte de la même manière. Cela n’est pas dû à une perversité, bien au contraire, ils veulent par ce geste prouver à des inconnus qu’ils se sentent extrêmement proches d’eux. Selon eux ceci est souvent dû à la prise d’ecstasy et c’est un de leurs regrets, c’est donc quelque chose qu’ils souhaitent vraiment mais qu’ils n’auraient pu réaliser sans l’aide de la drogue.

Une dernière précision : l’espace dévolu à la communication habituelle c’est à dire essentiellement verbale est toujours éloigné de la piste, du lieu de la transe. Généralement cet espace est constitué des "coins cool" où la musique n’est pas forte : "on allait aux toilettes et on parlait là avec les gens qui venaient chercher un peu de fraîcheur et une ambiance différente". Les toilettes sont le lien de prédilection de la communication verbale, c’est d’ailleurs là que se trouve souvent le dealer et que s’effectue la prise de drogue (mes informateurs se fournissaient essentiellement dans un cadre amical et non au hasard en soirée).

2. Prise de drogue et regrets.

Selon mes informateurs, les rapports interpersonnels étaient très souvent dictés par la drogue qui a été ingérée, celle-ci détermine souvent le comportement vis à vis de l’autre.

Je n’entrerai pas ici dans le détail des différents rapports instaurés selon le type de drogue consommé, ce sujet étant multiple et très ramifié nous l’aborderons dans une partie spécifique. Cependant un trait notable apparaît, ils regrettent souvent la superficialité des rapports due à la prise d’ecstasy, ils parlent de "grande amitié spontanée" qui est due à l’ecstasy ce qui revient à dire que la spontanéité est le fait du produit gobé (avalé) et n’a donc de spontanée que le nom. Les rapports sont parfois décrits comme "très superficiels" et la drogue est citée comme contribuant à cette superficialité. "Les gens vivaient intensément des choses sur le moment sans même se connaître (...) ce qui en soi est très superficiel", cela illustre bien le fait que la superficialité n’est pas pour eux en contradiction avec l’unité et ce sentiment de communion ressenti, ce que je pensais au début. De plus la superficialité est souvent évoquée par manque de discussion cela étant fait hors contexte c’est à dire que l’interviewé, selon moi, oublie l’état d’esprit du moment et la communication non verbale prédominante pour tenter une analyse objective de la situation qui, avec le recul, semble insensée, superficielle, inintéressante. L’exemple qui suit va en ce sens. Q m’a confié lors de notre entretien que : "au début (...) j’avais l’impression de m’être fait de nouveaux amis etc., enfin vraiment pris dans un engrenage et ensuite (...) quand j’ai vécu les choses avec beaucoup plus de régularité (...) j’ai pris du recul et je me suis rendu compte que ben finalement c’était rien quoi". Ce à quoi il ajoute que "ça m’empêchait pas de vivre les choses intensément à ce moment là quoi, je me rendais compte en connaissance de cause en fait que je vivais des choses qui n’avaient aucune signification mais je les vivais quand même parce que ça me faisait plaisir de les vivre sur le moment". A mon goût cela ne doit pas être perçu comme un regret mais comme une interprétation. De nombreuses discussions avec d’autres personnes sur cette question menaient souvent à des réponses telles que "c’est comme ça, on l’accepte". Semblant laconiques en première analyse celles-ci révèlent à mon avis l’intériorisation des règles de déroulement du monde clos des fêtes. Ceci est en quelque sorte une loi qui évite au monde de la rave de déborder de son contexte, la sincérité des gens n’est pas mise en doute mais celle ci n’est valable que dans le cas précis des soirées, une fois sortis de ce cadre on oublie cela et ce qui a été échangé (oublie est ici un terme un peu fort) et on se le remémore lors de la prochaine soirée. E étaye cette affirmation en me disant qu’"il y a quand même beaucoup de choses qui se disent dans un contexte de fête où personne se prend au sérieux donc (...) on est pas là pour vraiment toujours entamer la discussion vraiment fondamentale". "D’un autre côté (...) les gens sont tellement ouverts que y’a des rapports qui sont supers, t’as l’impression que tout le monde s’échange des sourires".

Quelques regrets viennent tout de même entacher ce tableau, on m’a évoqué pêle-mêle un oubli lors d’une soirée où étant resté hors de la boîte de nuit la personne concernée a passé la nuit dehors et ses amis ne se sont aperçus de rien ; quant à l’état d’esprit G m’a avoué que "parfois j’en avais rien à foutre aussi, j’étais dans mon trip mais j’agressais jamais les gens" ce qui tempère la notion d’unité au sein du groupe des ravers. De plus l’ecstasy est perçu de façon ambivalente par les takers (adeptes du mouvement techno), d’un côté elle permet que "ta pensée se transforme direct en parole ou en geste" donc elle développe la communication verbale ou non verbale et d’un autre côté "quand tu parles des fois tu finis pas ta phrase mais c’est pas grave" donc elle atrophie la communication, l’empêche mais cela n’a pas d’impact ce qui montre que la facilité de communication va de pair avec la "superficialité". Ceci est pourtant bien accepté des ravers qui en sont pleinement conscients.

On voit ici que tout n’est pas clair et que parfois certaine attitudes sont paradoxales, la prise de drogue notamment. Nous allons nous attarder sur ce sujet dans les parties suivantes. Pour une meilleure compréhension nous allons évoquer ici les différentes drogues citées plus loin.

Ecstasy : le nom chimique complet du produit est 3,4méthylène-dioxy-N-méthylamphétamine ou MDMA. Le produit, naguère surnommé Adam, est aussi appelé X ou E. L’ecstasy est une drogue synthétique qui agit comme stimulant et comme hallucinogène, peu d’informations fiables sont disponibles à son sujet. Sa consommation ne semble pas entraîner d’accoutumance, mais elle peut avoir des conséquences graves sur le foie, le cerveau, le coeur et les reins.

LSD : C’est un hallucinogène appelé communément acide ou trip. Sa consommation ne semble pas entraîner d’accoutumance, mais elle peut amplifier considérablement les névroses déjà existantes et provoquer des maladies mentales irréversibles. Ces informations sont également valables pour les champignons hallucinogènes.

Amphétamines : elles procurent un surcroît d’énergie. Elles sont plus fiables que l’ecstasy, et moins chères, mais présentent les mêmes dangers et induisent en outre une dépendance. Elles sont sans doute responsables d’un certain nombre des décès attribués à l’ecstasy. Les effets durent huit heures. L’énergie provisoirement gagnée se paye par une grande fatigue. L’overdose rend irritable, voir violent.

Speed : c’est une amphétamine qui agit comme stimulant, sa consommation entraîne une accoutumance, et, à long terme, une dégradation irréversible du système nerveux et de la santé générale. De plus, un risque d’overdose est toujours à redouter.

Cocaïne : appelée aussi coke ou neige, elle est généralement sniffée, à l’aide d’un billet de banque roulé, par exemple. La montée survient quelques minutes après ingestion, mais dure à peine une demi heure. C’est un produit cher, ce qui lui donne peut être une certaine aura. On l’accuse de détériorer les parois nasales.

Cannabis, marijuana : c’est la drogue la plus répandue et la plus souvent utilisée. On fume en général les feuilles ("herbe", "beuh") ou les parties résineuses ("hash", "teush"), avec ou sans tabac. Longtemps considérée comme inoffensive (au même titre d’ailleurs que le tabac), elle est aujourd’hui soupçonnée d’induire le cancer des poumons, sans parler de la dépendance psychique.

IV/ LE LIEN ENTRE FETE ET DROGUE

1. Quel lien ?

Citons ici une étude sociologique intitulée "Women, sexuality and ecstasy use. The final report 1993" de Sheila Anderson, publié par Lifeline (101 Oldham street, Manchester M411W). Selon cette étude les drogues apparaissent comme un élément essentiel de la culture rave. La plupart des jeunes femmes interrogées ont affirmé qu’elles n’envisageaient pas d’assister à une soirée sans prendre au moins une drogue récréative, à savoir cannabis, champignons hallucinogènes, LSD ou amphétamines, sans oublier l’ecstasy, la plus populaire, même si le LSD est la moins chère.

Cette étude nous explique que le lien fête drogue est quasi obligatoire chez les femmes. Cela n’est pourtant pas une généralité, au sein du groupe de mes informateurs la moitié des filles ou presque (2 sur 5) ne prenaient pas de drogue et deux autres rarement (excepté le cannabis). Lorsque j’ai interrogé mes informateurs privilégiés sur ce thème la réponse a été beaucoup plus tranchée. Pour eux fête et drogue sont "souvent voir toujours associées en ce qui concerne les teufs techno", "les soirées techno étaient exclusivement liées à la drogue". Lorsque l’on écoute leur justification on ressent le fait que la drogue fait partie intégrante du "rituel" (le terme est de E) de la soirée techno, une soirée sera la plus accomplie possible à travers la prise de drogue : "une rave si tu tapes (gobes) pas c’est pas pareil, ça peut être sympa sans dope, je l’ai déjà fait, mais ne rien prendre dans certains cas c’est vraiment passer à côté de la plaque (...) c’est comme ne pas exploiter au maximum tout ce que te propose la teuf". Souvent ils pensent que l’on peut concevoir une soirée sans drogue mais précisent également que ce n’est pas leur cas : "l’envisager c’est possible ! Mais l’appliquer...". Ils ont pourtant tous passé au moins une soirée sans drogue mais avouent "je me faisais chier", lorsque l’on a connu la transe et la soirée paroxystique on apprécie plus la simplicité, on pense rater quelque chose. Ces personnes ont une conception de la fête qui mène à la drogue : "la fête pour moi c’est aussi un état second (...) je crois qu’il ne faut pas se le cacher". Ainsi drogue et fête "c’est forcément très, très lié parce que déjà la musique étant très hypnotique et quand même assez (...) hermétique je dirai (...) c’est une musique qui transporte par les sensations quoi donc forcément y’a prise de drogue ou du moins recherche d’un état second". La drogue est perçue comme un moyen et non comme une fin, elle est une aide à la musique, à la danse, à la transe et non son instigatrice : "au départ on va chercher l’état second par la musique et à un moment on a l’impression de pas vivre les choses aussi intensément qu’on devrait les vivre et donc y’a la drogue qui... qui prend le pas".

Nous avons vu que le lien fête drogue n’est pas obligatoire au sens strict mais nécessaire à une conception spécifique de la rave : la fête-transe. Tous mes informateurs avouent qu’une soirée sans drogue est possible mais ils ne l’envisagent pas sérieusement car, ayant déjà fait l’expérience, ils ont compris qu’ils rataient quelque chose. Ce sentiment est décrit dans deux cas, celui cité précédemment (non consommation de drogue) et le suivant : lorsque la drogue absorbée ne correspond pas à l’état d’esprit et au type d’événement qu’est la soirée : "y’a même des drogues en teuf ça va pas, j’ai déjà pris de la came (de l’héroïne) pour aller à une teuf et c’était pas ça, je piquais du nez au lieu d’être dedans". Seules les drogues dites récréatives semblent correspondre aux attentes des ravers, ce sont celles citées avant le IV avec une nuance pour le cannabis généralement perçu comme "accessoire" ou "complément".

Le lien particulier fête/drogue qui correspond à la rave détermine un certain type de substances comme aides à la transe. Les drogues non stimulantes et l’alcool ne sont que très rarement absorbés et dans ce cas ce ne sont pas les seules ou alors l’optique du consommateur n’est pas la transe collective conçue de la façon suivante :

"Dans le cas de la rave, ces expériences mènent à une conscience de groupe : les individus, moins centrés sur eux-mêmes, s’identifient aux autres, à l’ensemble. L’effet de la foule et celui du rythme créent une synchronie et l’état de réceptivité auquel les ravers accèdent sous l’effet des psychotropes accentue leur sentiment de "fusion collective"". (Raver p.57).

2. La motivation.

Voici une citation extraite du discours inaugurale de Mark Gilman de Lifeline lors de la First International Conference on Safer Dancing, au Manchester Town Hall en mars 1995. Lifeline est un bureau d’études sur les drogues et un centre d’accueil et d’assistance aux drogués.

"Consommer de bonnes drogues avec de bons amis et danser sur une bonne musique est un plaisir. Un réel plaisir. C’est bien pour ça que les gens le font. Et pas parce qu’ils sont tombés sur la tête lorsqu’ils avaient trois ans, ni parce qu’ils sont issus de familles désunies."

Ce court extrait pose clairement la question de la motivation spécifique des ravers consommateurs de drogue, l’approche ne peut être la même que pour celle d’un héroïnomane ou de tout autre drogué.

Cette citation de Mark Gilman se rapproche d’ailleurs quelque peu des motivations qu’ont bien voulu me confesser mes informateurs privilégiés, en général la première fois était "juste pour voir", "par curiosité", pour "être surpris", voir quelque chose de nouveau. Cette première expérience est le plus souvent assistée d’une personne que l’on pourrait qualifier de guide : "c’est mon meilleur pote qui m’a filé (donné) un cacheton (ecstasy) donc je me suis dit que c’était comme ça qu’il fallait faire pour que ce soit bien". Ce à quoi il ajoute "je lui ai fait confiance et je l’ai pas regretté ce soir là !". La première prise fonctionne sur la base de la confiance et du réseau d’interconnaissance, ce rite de passage permet l’agrégation à un groupe valorisé car côtoyé et connu.

Une fois passée l’évocation de la première prise les motivations se précisent et c’est ici qu’elles semblent correspondre à ce que disait Mark Gilman : "Ma motivation première elle va à l’amusement... et à (...) la recherche de nouvelles sensations" ou encore "m’amuser... euh recherche d’état second (...), j’avais vraiment envie de vivre des choses extrêmement fortes, il m’en fallait toujours plus". Cependant cela dépasse quelque peu le discours de Mr Gilman, sa généralité et sa simplicité ne peuvent en effet être représentatives de cas particuliers. Au delà de l’amusement et de la recherche de sensation on découvre le besoin d’évasion, le désir de sortir de soi et de son quotidien : la drogue est un "moyen d’évacuer l’oppression (...) quotidienne", elle permet de vivre "des choses que je ne vis pas au quotidien", "on vit les choses avec beaucoup plus d’intensité" ou "on le croit", cela permet de "voyager".

Il faut alors scinder ici l’interprétation en deux. En effet selon mes informateurs privilégiés les motivations ne sont pas identiques selon la prise de drogue, ecstasy et LSD sont généralement évoqués comme donnant lieu à des motivations diverses.

L’ecstasy : sa consommation est due à une motivation hédoniste, elle favorise la communication et entraîne un état de bien être, de plus "ça te faisait parler". Q m’a expliqué que les effets de sa première prise d’ecstasy ont "duré une dizaine d’heures, comme ça à être défoncé et à avoir l’impression de, d’aimer réellement très fort tous les gens qui étaient là et puis de partager des choses très, très fortes avec eux et c’était ce qui m’avait plu quoi. C’est d’ailleurs pour ça que j’en ai repris." Le sentiment d’empathie (voir V 1.) créé par l’ecstasy génère cette motivation due à la recherche de plaisir.

Le LSD : les motivations quant à la prise de LSD sont généralement différentes, elles relèvent plus d’un mysticisme que d’un hédonisme, le "délire" du trip est "plus profond". Il est même parfois placé en contradiction directe avec l’ecstasy, G m’a dit que lorsqu’il prenait du LSD c’était "pour me foutre de la gueule des ecstasiés" et que "ça me permettait de prendre un peu de recul par rapport à l’X je crois...". L’état décrit et recherché est généralement plus cynique, plus lucide si l’on peut dire. De cela découle le fait que "en général la motivation est plus presque spirituelle, comme ouvrir son esprit, voir plus loin", c’est pour cela que j’ai qualifié les motivations citées pour la prise de LSD de mystiques. De plus E fait référence à "la connotation hippie qui a peut être joué".

Généralités : restent quelques motivations communes aux différentes drogues. Tout d’abord la recherche d’évasion du quotidien, déjà citée plus haut, qui se traduit par l’oubli momentané de ses réalités et de ses exigences, la drogue permet alors de "sublimer (...) des choses complètement futiles". L’autre motivation importante restante est un peu intimidante, il s’agit du "goût de l’interdit" ou du "goût du risque" et ceci vis à vis de toute autorité, il y a un refus d’accepter la réalité et la justification de l’autorité comme il y a recherche du danger et de la perte de soi. Une approche plus détaillée sera sans doute nécessaire ici mais le manque de données me pousse à stopper mon analyse ici pour ne pas tomber dans des truismes psychologisants.

V/ L’ECSTASY, LE LSD ET LES AUTRES DROGUES

Substances psychédéliques : marijuana, peyotl, champignons, ergots (LSD) et ampathogènes (MDMA) ont de tout temps été utilisés lors de réunions entre amis, lors de cérémonies, de fêtes et de rituels schamaniques. Ce sont tous des substances psychédéliques ce qui signifie "qui élargit le champ de conscience", celles-ci "engendrent une hyper sensibilité aux sensations extérieures et une accélération du traitement de la pensée". (Leary 1994).

La drogue est généralement consommée en soirée pour accentuer la rupture quotidien/fête.

1. L’ecstasy.

Le déroulement de la prise.

Avant le moment de la prise existe une étape importante : l’achat. Celui-ci est généralement groupé c’est à dire que tout le monde confie son argent à une personne qui va voir un dealer et obtient ainsi un meilleur prix. Il est à noté que l’achat effectué en boîte de nuit à un dealer inconnu est très peu prisé de mes informateurs, selon eux il est toujours possible de se faire avoir, de se faire voler son argent ou d’acheter des ecstasys de mauvaise qualité. Ils préfèrent choisir une connaissance, l’achat se fait généralement chez la personne concerné, je n’ai malheureusement pas pu y assister.

Vient ensuite le moment de la prise. Celle-ci se fait soit avant d’entrer dans la soirée, cela étant surtout vrai en cas de fouille à l’entrée pour les fêtes où un service de sécurité est présent (que la fête soit autorisée ou non), ou une fois à l’intérieur quand l’ambiance devient bonne. Alors "c’est parti pour minimum six heures".

a. Les effets.

"On appelle l’ecsta la pilule de l’amour, je suis tout à fait d’accord avec ça parce que, on a l’impression d’aimer vraiment tout le monde (...) on va vers les autres facilement". L’état d’esprit est "love, love, love, love... ça résume assez bien la situation". C’est l’effet majeur de l’ecstasy.

"Des dizaines de chercheurs ont décrit le profond bien être, le discernement, la clarté, l’empathie et la facilité avec laquelle on communique sous MDMA". (Leary 1996). Leary nous dit encore "sa réputation met l’accent sur l’amour et la paix qu’il provoque".

Dans This World du 23/06/95 un article écrit par un quadragénaire qui goûte pour la première fois à l’ecstasy explique :

"Ce que je vais dire peut sembler ridicule, mais cette drogue libère de toutes les névroses, de tous les réflexes de peur. On se sent attentif, léger, chaleureux. (...) On ne perd à aucun moment le contact avec la réalité."

Cette description et ces évocations sont corrélées par les dires de mes informateurs qui évoquent le fait que "ça te faisait parler", il n’y avait "plus de barrière entre les gens, tu osais parler" ou encore "ta pensée se transforme direct en parole ou en geste". La pensée est en "version rose", "on perçoit les choses différemment (...), on part de sa culture mais (...) on voit les choses sous un autre angle (...) beaucoup plus gai généralement", "on pense plus à ses problèmes". Beaucoup d’expressions différentes pour dire la même chose : au niveau émotionnel, l’ecstasy produit un fort sentiment d’empathie, de plaisir et une facilité de communication avec les autres.

Les autres effets qualifiés de positifs par mes informateurs sont les suivants : "t’as de l’énergie pour danser, parfois des hallus (hallucinations) mais surtout tu sens ton corps vachement différemment, c’est indescriptible", "on a envie de vivre les choses beaucoup plus intensément". Q : "j’avais l’impression d’avoir des bulles (...) de champagne dans le cerveau, on a l’impression que notre organisme vit à cent à l’heure", "on a besoin du contact des autres" et "on a les sens qui sont exacerbés".

Mais ces effets dits positifs vont de paire avec d’autres. L’ecstasy génère deux effets contradictoires : stimulation et relaxation, mes informateurs avouent être à la fois "décontracté" et "très, très speed".

En y regardant de plus près on s’aperçoit que tout n’est pas "rose". Lorsque l’on parle d’"amour de tous" on entend ensuite "tu deviens un peu crétin même mais bon tu te fends la gueule et le temps passe à une vitesse folle", ils ne s’en rendent compte que plus tard mais en sont conscients lors de la prise. De plus la caractéristique du temps est générale, celui-ci semble toujours s’accélérer et est complété par un phénomène d’oubli : on a "un arrière goût de n’avoir rien vécu (...), une soirée en un éclair quoi parce qu’on a aucun souvenir".

Mes informateurs m’ont également confié que l’ecstasy stoppe la réflexion, l’empêche d’atteindre un certain stade malgré l’ouverture d’esprit qui résulte de la prise, on pense "à rien en général et parfois à plein de trucs en même temps", "tu pars dans des théories extravagantes, souvent métaphysiques (...) mais bon ça va pas très loin, ça reste un peu beubeu (bête) en général". En fait "on se disperse beaucoup parce que... y’a rien qui imprime". Ils m’ont d’ailleurs souvent évoqué leurs problèmes de mémoire.

L’effet peut parfois être très négatif, il faut selon les gobeurs éviter de prendre de l’ecstasy si on a un problème, la substance risque de l’amplifier psychologiquement et cela peut s’avérer dangereux. Un autre effet contradictoire et qui peut devenir désagréable est décrit par E : "Je me souviens d’une soirée où j’ai eu un gros problème de communication... ça m’a bloqué, j’avais envie de dire plein de choses mais j’arrivais pas à les dire". Cela engendre une frustration et peut provoquer une appréhension lors de la prochaine prise ce qui peut de nouveau mener à un "mauvais délire".

De plus "ça a toujours des effets qui débordent de la soirée" c’est à dire que le lendemain une forte fatigue physique apparaît, plus tard (trois, quatre jours) une déprime peut affecter le gobeur, cela s’est retrouvé chez tous mes informateurs.

Le "délire" sous ecstasy se décompose en trois phases :

1 : un effet fort, une "extase" : "un flash", "le plus fou c’est que je sentais plus mon corps pendant un temps, je voyais bizarre, presque blanc". Ce moment se caractérise par une "sensation de vertige" due à la montée du MDMA. Cet effet est bref et intense.

2 : vient ensuite la phase de "plateau" durant laquelle l’effet se stabilise mais oscille quelque peu au gré de la musique, à ce moment "on est heureux" et moins centré sur soi que lors de l’"extase".

3 : enfin la "descente" est la phase la plus difficile, c’est une "déprime... enfin en tout cas malaise", "on retourne dans le monde réel" et le choc qui en résulte bouleverse un peu le gobeur, il est généralement fatigué, irritable et cela dure "jusqu’à ce qu’on s’endorme".

b. "L’instinct grégaire".

Selon Nicholas Saunders dans E comme ecstasy, l’ecstasy est adapté aux expériences de groupe. Timothy Leary dans Chaos et cyberculture abonde en ce sens en expliquant que "de telles substances sont rarement consommées en solitaire pour éviter les "défonces" centrées sur soi-même".

Ces deux affirmations sont certes vraies mais ne vont pas assez loin, dans le cas du petit groupe que j’ai côtoyé et selon leurs propres dires l’ecstasy génère en quelque sorte un "instinct grégaire" (cette expression n’est pas une citation et a été choisie pour sa valeur explicative), en effet sous ecstasy "on va facilement vers les gens enfin on va facilement (...) vers les autres personnes qui ont pris des ecstas (...), y’a des comportements qui se reconnaissent entre ecstasiés", il y a donc un phénomène de reconnaissance entre les ecstasiés. Ceux-ci ont besoin du contact des autres et se rassemblent alors inconsciemment ou non afin de partager leur expérience et de s’identifier à l’autre comme partie du tout. "J’allais pratiquement toujours vers les gens qui étaient défoncés comme moi" m’a confié un informateur, il était alors plus à l’aise mais ne pouvait me dire pourquoi bien qu’il ressentait un sentiment d’unité. Cette théorie se vérifie par des expériences personnelles de mes informateurs privilégiés qui désignent en creux sa réalité. Par exemple Q m’a raconté une de ses soirées qui était selon lui ratée : "j’ai pris un ecsta et puis donc il me fallait de la musique du coup je suis sorti en boîte et là ça n’allait pas quoi, j’étais pas bien, je ne me sentais pas bien parce que la musique ne me convenait pas, c’était pas de la techno, les fluctuations de la techno faisait que ça... ça fasse monter ou descendre les effets de l’ecstasy n’étaient pas présents et puis y’a personne à qui je pouvais parler, j’avais l’impression d’être seul parce que personne n’était ecstasié". On voit bien dans cet exemple que Q recherchait la présence de ses semblables si je puis m’exprimer ainsi, sa soirée s’est mal déroulée car il était le seul ecstasié de la soirée et se sentait alors "seul" dans un groupe.

De plus il faut répéter ici que lorsque l’on demande aux ravers de citer les éléments principaux d’une soirée "la musique" et "les gens sympa" sont le plus souvent évoqués, s’il y a une "bonne ambiance" la soirée sera réussie, cette ambiance résulte de la qualité des personnes présentes et donc de l’uniformité de la soirée désirée par tous, ainsi le meilleur moyen de réussir sa soirée est de se rassembler entre ecstasiés. Cela permet d’être sur la même longueur d’onde et de rechercher la même chose.

"Maclean’s : quels sont les effets du MDMA ? Leary : Contrairement au LSD, il ne provoque pas une avalanche d’hallucinations se succédant à un rythme fou. L’ecstasy et ses analogues donnent lieu à une expérience très claire et très chargée sur le plan affectif." (Chaos et cyberculture 1996).

2. Le LSD.

Le déroulement de la prise est identique à celui décrit pour l’ecstasy.

Le "délire" sous LSD est également décomposé en trois phases sur le même modèle que celui de l’ecstasy bien que souvent plus prolongé et plus éprouvant à la fois physiquement et psychiquement.

Leary : "... Nos recherches effectuées à Harvard dans les années 60 décrivaient les drogues psychédéliques telles qu’elles sont. A savoir, de merveilleux présents offerts par le règne végétal au royaume animal ; des catalyseurs du cerveau qui déclenchent réflexion philosophique, curiosité scientifique, conscience somatique, hédonisme, humour, tolérance, érotisme chaotique, sensibilité écologique, communication utopique".

a. Les effets "positifs".

Lorsque l’on entend décrire les effets du LSD ceux-ci sont souvent explicités par antagonisme avec l’ecstasy. Les auteurs de Raver nous expliquent que "certains ravers choisissent de consommer des acides car ils sont meilleur marché que l’ecstasy mais, le plus souvent, ce choix résulte d’une motivation particulière car on ne vit pas la rave de la même façon dans les deux cas." Ceci semble exact au vu des entretiens bien que dans la région les prix unitaires d’un acide ou d’un ecstasy sont les mêmes, l’argument financier est donc à éliminer. La rave est bien vécue de façon différente, le "délire" est "plus profond" parfois la prise d’acide est effectuée "pour me foutre de la gueule des ecstasiés" ce qui permet "de prendre un peu de recul par rapport à l’X". En effet cette drogue est abordée très différemment de l’ecstasy, de façon plus mystique en quelque sorte, la "motivation" est "spirituelle", on recherche à "ouvrir son esprit" ou encore à "voir plus loin".

Le LSD ou trip permet de passer les choses "de 2D en 3D", "c’est plus fort un trip en général et t’as beaucoup d’hallus (hallucinations), les choses prennent de la profondeur", les modifications visuelles sont importantes et vont généralement de paire avec des modifications sonores : "au niveau visuel et auditif t’as des hallucinations (...) c’est à dire des déformations des visages, des déformations des murs, des déformations auditives".

Tout cela mène le tripé (personne ayant gobé un trip ou acide) à pénétrer dans "un autre monde" dans lequel tous ses rapports habituels au temps et à l’espace sont modifiés. En cela les résultats de mes entretiens correspondent aux déductions de Mesdames Fontaine et Fontana dans Raver :

"Les rapports à l’espace et au temps sont complètement perturbés. Les ravers sous acide perdent leur repères spatiaux habituels, quelque fois incapables de s’orienter (...) le temps comme l’action sont caractérisés par une grande discontinuité".

Il faut ajouter à cette intéressante citation que leur rapport à la musique est profondément modifié : "quand on écoute de la musique sous LSD on entend réellement tout ce qui se passe, tous les sons, ce qui n’est pas forcément le cas quand on est... normal, on a une attention sur la musique qui est beaucoup plus forte". Le rapport à tout ce qui est extérieur à l’intégrité physique du sujet est modifié, cela peut se révéler agréable, G m’a évoqué les sensations qu’il a ressenti dans un nuage de fumée en boîte de nuit : "impressions bizarres, comme si je flottais, que je faisais partie du brouillard, je me sentais plus mais c’était pas flippant au contraire... J’étais bien, comme à ma place". Cette impression de se fondre dans le cadre, dans l’environnement est d’ailleurs une redondance, ainsi cette drogue convient mieux à l’extérieur, elle permet, en quelque sorte, de communier avec le monde (selon mes informateurs).

Le LSD provoque deux effets contradictoires : "tu changes mais pas comme sous X (ecstasy), tu est plus clairvoyant dans ta tête, plus lucide, tu te poses plus de question, c’est un vrai travail sur toi et en même temps t’es plus cassé". A une sensation de perception accrue de la réalité se mêle la perte du lien d’avec cette même réalité. Mes informateurs m’ont éclairé sur ce sujet par le fait que l’on pénètre dans un "autre monde" et ceci au sens figuré, en fait tout est normal mais tout est perçu différemment, ils ont conscience de la réalité mais tentent de la dépasser par la prise de LSD. En général cela est agréable, le LSD déclenche un "délire euphorique", un "délire sensitif", une "sensation de force", cette drogue se voit qualifiée de "dynamisante". Cela n’est pas toujours perçu de façon si agréable, le vocabulaire employé pour parler de l’effet du "trip" est souvent assez violent, on parle de "lutte", de "combat".

b. Les effets "négatifs".

Le LSD engendre un grand décalage entre le réel et la réalité. J’entend par réalité ce que l’on perçoit du réel. Sous LSD la réalité est tout autre de celle que nous connaissons, les "tripés" en sont généralement conscients et l’assument mais lorsque ce produit "fort" est mal géré c’est à dire que l’on s’éloigne du réel, que l’on oublie le décalage entre réel et réalité des conséquences néfastes sur le plan mental sont à craindre, c’est le "mauvais délire". E évoque une expérience qui l’a marqué, il était dans une soirée autorisée et a été renvoyé par le service de sécurité, il a alors passé le reste de la soirée bloqué dehors, la coupure trop nette entre la réalité qu’il percevait c’est à dire celle de la soirée et le réel donc le monde extérieur l’ont beaucoup choqué et il avoue qu’il a eu du mal à s’en remettre.

Ce décalage entre réel et réalité du "voyage" se ressent également dans le témoignage de Q qui me signifie qu’il s’était disputé sous trip pour "des choses du quotidien" car à ce moment précis celles-ci lui semblaient insignifiantes ce qui n’était pas le cas de son interlocuteur qui n’était pas "tripé". Il a alors voulu devenir une "pensée pure" et a compris qu’il était en train de se "bloquer". L’acide fait prendre les choses "très à coeur" et cela peut s’avérer désagréable.

Lorsque le "tripé" est sous l’effet du produit il y a parfois "rupture de la communication" voir provocation de "troubles psychiques", "psychose, paranoïa". La perception différente qui résulte de la prise de drogue crée un décalage et le "tripé" a souvent du mal à l’interpréter ce qui peut engendrer une "impression de paranoïa aiguë". Celle ci est souvent ressentie lors de la "descente". La "descente" est d’ailleurs très difficile, "en descente c’est je crois ce qu’il y a de pire parce que vraiment là on se sent vraiment mal" et s’il ne se sent pas mal le tripé paraît "illuminé, vraiment quelqu’un qui raconte tout et n’importe quoi et qui les prend pour vérité pure". La fatigue joue ici un rôle important et rend le tripé encore plus vulnérable au "mauvais délire".

Et cela ne s’arrête pas là, après la fin de la descente des effets secondaires peuvent apparaître "plusieurs jours après la prise" et sont toujours "paranoïa", "psychose". De plus un de mes informateurs privilégié m’a évoqué ses "delirium tremens" c’est à dire que "longtemps après la prise d’acide, (il a eu) l’impression d’avoir des pics des effets de l’acide". L’acide déborde donc largement du cadre de la soirée et c’est aussi en cela qu’il peut s’avérer négatif.

c. Caractéristiques spécifiques au LSD.

Le LSD est une drogue permettant d’aller "plus loin", de "voir plus loin", elle donne lieu à des phénomènes très différents de l’ecstasy.

La première prise a été pour tous mes informateurs effectuée dans un cadre privé restreint, "en dehors d’une teuf (fête)", "chez un ami (chez E)" pour Q. Le LSD n’est donc pas par définition - contrairement à l’ecstasy - lié à la soirée :"ça je le lie moins à la fête, pour moi c’est différent". De ce fait en découle un autre, la conscience de groupe très exacerbée lors de la prise d’ecstasy est vécue sur un autre mode, on peut ici plus parler de connaissance de groupe que de conscience de groupe. En effet mes informateurs sont tous d’accord pour dire que "c’est plus perso comme délire... Je veux dire moins collectif ou en petit groupe d’amis", cependant malgré cette caractéristique quelque peu surprenante (le LSD est en effet quasiment aussi répandu en rave que l’ecstasy) la prise de LSD ne se fait jamais seul. "En général ça partait en groupe mais c’est une drogue qui est beaucoup plus solitaire", de plus "on peut complètement se renfermer sur soi".

Mais le tripé est tout de même "extraverti" et a besoin de "prendre en groupe avec d’autres personnes qui prennent la même drogue" pour être "sur la même longueur d’onde", le LSD est une drogue de "communication" mais l’"instinct grégaire" provoqué est différent de celui résultant de la prise d’ecstasy, il peut en effet être anéanti à tout moment. Il n’y a pas une réelle communion et une conscience de groupe, les membres du groupe qui se connaissent généralement vivent la fête différemment, ils ne se "lâchent" pas sur la musique mais cherchent à "entrer dans la musique, (à) avoir l’impression (...) qu’on est la musique (...) (et) essayer de la matérialiser", le "délire" sous LSD est plus complexe.

Sa caractéristique la plus différente de celles liées à l’ecstasy est sa faculté à générer un dialogue très poussé : "ça fait partir sur des sujets métaphysiques : Dieu euh... la joie, le malheur, le bonheur, la vie, la mort, tout ça... (...) et on les prend (...) à 200 km/h dans la face quoi c’est à dire on prend des vérités, on a pas le temps de les digérer que y’en a d’autres qui arrivent (...), l’activité cérébrale est accélérée". Lors de ces réflexions en groupe ou seul ce type de débat est lancé et après réflexion "je dis pas (...) qu’on atteint la vérité mais en tout cas on a l’impression de l’atteindre à ce moment là". Le tripé est un mystique, il cherche à comprendre, il ne cherche pas la même transe que l’ecstasié qui est plus défoulement, la sienne est questionnement.

3. Les autres drogues.

a. Variations sur un même thème.

A part l’ecstasy et le LSD mes informateurs privilégiés ont consommé des drogues très diverses, de l’héroïne mais "c’était pas ça" en teuf car tu "piquais du nez (t’endormais)", de la "coke" ou cocaïne qui est pour eux un produit de luxe rarement acheté (à Nouvel An par exemple) à l’exception de G qui en achetait quand il ne "voulait plus gober", des champignons hallucinogènes quasi équivalents au LSD, du "teush (cannabis) beaucoup" sous différentes formes : "herbe", "shit (résine de cannabis)" et "huile". Enfin le "speed" ou "pep" qui sont des "amphétamines en poudre", les avantages du "pep" selon mes informateurs sont que l’on est "speed, enfin, énergique mais lucide, je pouvais profiter de la soirée sans que ça passe sans que je m’en rende compte".

Le fait de consommer d’autres drogues menait à une certaine "satisfaction" car ces drogues donnaient "l’impression déjà de passer une soirée différente des autres c’est à dire d’avoir une autre perception des choses donc surtout de la musique" mais cela est valable seulement pour les personnes pour qui la drogue est l’élément central de la soirée, chaque drogue est un moyen différent et va donc provoquer des soirées de différents types. La prise d’autres drogues se fait quand "la situation ne donnait pas lieu à la prise d’un ecstasy ou d’un acide" c’est à dire lorsque le temps était compté par exemple ou que la fatigue était trop grande. Le fait de consommer des drogues différentes est aussi dû au fait que "t’as pas toujours envie de te défoncer", cela m’avait paru au premier abord contradictoire, prendre une drogue parce que l’on n’a pas envie de se défoncer semble même relever du domaine de l’absurde ! Cependant à la lecture des caractéristiques des autres drogues j’ai compris que cette affirmation est due au fait que ces drogues "te transposent pas autant... tu restes quand même plus conscient de ce que tu dis, de ce que tu penses, de ce que tu fais...". On recherche tout de même un état second mais moindre, qui nécessite moins d’engagement physique et surtout psychique, mental que l’ecstasy ou surtout le LSD.

b. Les mélanges.

Mes informateurs privilégiés ont tous fait des mélanges de différentes drogues mais cela n’est pas systématique, certaines soirées sont même passées sans drogue bien que cela reste exceptionnel.

En général les combinaisons sont les suivantes :

ecstasy et speed : quand "l’ecsta est pas bon alors un peu de pep ou de toute façon ça fait durer"

trip/ecstasy et héroïne/cannabis : le deuxième groupe permet de "calmer les effets des drogues dures" du premier groupe généralement. "Après un trip ça calme de fumer un joint (de cannabis) ou de prendre un peu de came (héroïne)". En effet en fin de soirée "il nous reste des substances qui font qu’on est encore éveillé... voilà (...), en général les gens pallient à ça en fumant, en prenant de l’héroïne ou en continuant avec des amphétamines pour palier à la descente". Ainsi parfois le mélange est simplement un rajout, il permet de continuer plus longtemps la fête ou d’éviter la descente, certes momentanément. Mais le plus souvent le mélange est effectué avec des drogues en quelque sorte contradictoires c’est à dire par exemple ecstasy et héroïne qui respectivement stimule ou détend.

De plus il reste certaines combinaisons inexplicables si ce n’est par une boulimie de drogues ou une recherche de nouvelles sensations : "j’ai même déjà mélangé came et pep alors que c’est un peu contraire mais bon...". Cela correspond plutôt au deuxième type de mélange alors que des soirées où l’on consomme des trips ou ecstasy en nombre plus de la cocaïne, du pep, du cannabis et de l’héroïne en descente sont difficiles à interpréter et trop confuses dans la mémoire des informateurs pour s’y attarder ici bien que cela soit certainement très intéressant.

Cette liste quelque peu longue des différentes drogues consommées ne doit pas masquer que pour mes informateurs il y a bel et bien des drogues centrales : l’ecstasy ou le LSD et souvent le cannabis à forte dose, le pep plus rarement. Tous mes informateurs privilégiés proposent ce clivage avec plus ou moins de nuances (pour G les drogues principales sont ecstasy, LSD et pep, pour E ecstasy, LSD et pour Q ecstasy et cannabis), de plus ils désignent alors en creux une catégorie de drogues définies par G comme "annexes", il s’agit du "cannabis" parfois, de la "cocaïne", de "l’héroïne", de l’alcool (et des "clopes" (cigarettes) !).

4. Le rapport entre drogue et cadre de la prise.

Timothy Leary (Chaos et Cyberculture) : "les réactions aux substances psychotropes dépendent étroitement du cadre et de l’ambiance. En d’autres termes, l’état d’esprit et l’environnement déterminent la suite des événements. Dans une ambiance unie et détendue, 90% des adultes consomment des doses normales de substances psychotropes et obtiennent des effets positifs".

a. Généralités.

Selon tous mes informateurs, le cadre est important, cette importance est duale. D’un côté "un cadre agréable, confortable", dégageant une impression de sérénité et même de stabilité est apprécié, cette apparente stabilité rassure le raver en lui promettant que la transe ne sera pas interrompue, il peut alors s’abandonner corps et âme en toute quiétude. Cela est le cas dans "un endroit bien situé" et "bien décoré", que les ravers se réapproprient par une décoration spécifique. D’un autre côté les ravers avouent ne pas avoir forcément besoin d’un cadre rassurant, au contraire : "y’avait ce côté de l’interdit qui faisait que si le cadre était pas rassurant ça rajoutait un côté exceptionnel à la soirée", le "goût de l’interdit" et le besoin de transgresser les normes et les règles établies s’incarnent dans ce type de soirées qualifiées de "plus glauques" mais cependant très attractives (comme les soirées effectuées dans les bunkers du Mont Saint Quentin au Ban St Martin qui sont monnaie courante en été).

Après cette distinction majeure entre deux types de cadre il faut préciser l’importance variable du cadre en fonction de la drogue. En effet la prise d’ecstasy ou de LSD ne provoquera pas le même rapport au cadre. "Je dirai en boîte de nuit on prend des ecstas et en rave des acides, ça correspond mieux au cadre".

b. Importance du cadre sous ecstasy.

Elle est variable du tout au tout d’un informateur à l’autre. Il y a cependant une redondance chez mes informateurs privilégiés, sous ecstasy le cadre n’apparaît pas comme très important, l’essentiel reste les gens présents : "sous X (...) ça va de toute façon". Le "délire" de l’ecstasy est plus facile à aborder et ne nécessite donc pas forcément un cadre rassurant. Là où j’ai cru percevoir une contradiction c’est lorsque Q m’a dit que sous ecstasy le cadre est "très important", cependant lorsqu’il me l’a expliqué en détail j’ai compris qu’il voulait dire à peu près la même chose que les autres : "il faut de la musique, il faut pouvoir discuter avec des gens, (...) on a besoin des autres". Pour lui le cadre parfait c’est dans un appartement avec des amis car la communication est aisée et les personnes présentes sont chères.

c. Importance du cadre sous LSD.

Timothy Leary nous dit "l’acide ne doit pas être pris par des anxieux ou dans un cadre peu rassurant".

Cette affirmation se vérifie totalement lors de mes entretiens, selon tous mes informateurs il faut avoir l’esprit le plus libéré possible pour prendre du LSD et que cela se passe bien. Parmi les éléments permettant cette libération de l’esprit il y a le fait de ne pas se soucier du cadre. Selon G "il faut pas que tu te sentes agressé, il faut un lieu connu ou rassurant", pour E on ne prend pas de LSD dans les "boîtes de nuit" ou les "endroits (...) réduits, pour pas être oppressé parce que c’est une drogue (...) qui a (...) besoin d’espace", selon lui "voir loin c’est vachement important, c’est une drogue qui se prête à l’extérieur de toute façon" et enfin pour Q sous LSD il "faut vraiment un cadre d’insouciance complète".

VI/ LE RISQUE.

La genèse de cette partie a une histoire qui mérite d’être citée : je n’avais nullement pensé à cet aspect de la vie du taker et mon questionnaire composé de questions ouvertes assez générales n’englobait pas ce thème. A la fin d’un entretien mon interlocuteur m’interroge sur ce thème et me signifie son étonnement de ne pas avoir trouvé une question se rapportant au risque, au danger. J’ai alors compris que dans mes lectures aucunes n’abordaient réellement le thème du risque, j’ai alors relu mes entretiens et réalisé que ce thème affleurait par endroits dans les anecdotes de soirée. De plus il est à noter que le risque perçu par mes informateurs privilégiés devait être suffisamment important pour les faire stopper la drogue, en effet ils ont tous les trois arrêté de consommer des drogues dures et se contentent aujourd’hui de drogues douces (cannabis essentiellement) et d’alcool. L’évolution de leur perception des soirées était trop forte et les centres d’intérêt qu’étaient la musique et la danse ont été assez vite remplacés par la drogue. Ils ne regrettent pas ce qu’ils ont vécu mais veulent vivre la fête sur un autre mode. D’ailleurs aujourd’hui ils font rarement des soirées, seulement en de grandes occasions car "je me fais souvent chier au bout d’une heure ou deux maintenant", "peut être parce que je gobe plus et que sans ça c’est pas pareil". De plus il y a une "lassitude" générale, les fêtes sont maintenant trop "agressives". Ils vont tout de même encore en soirée : "(j’y vais) pour m’amuser tout simplement, bon j’y vais dans un autre état d’esprit", en effet la drogue est quasiment exclue aujourd’hui car une conscience du risque a émergée grâce au vécu de la soirée à long terme (ils ont tous les trois fréquenté respectivement les soirées pendant deux ans et demi, quatre ans et demi et six ans).

Le risque et la limite.

Le premier type de risque est d’être décalé par rapport au réel, je l’ai évoqué plus haut, dans ce cas l’impression est généralement celle de "paranoïa aiguë" essentiellement après la prise de LSD pour mes informateurs mais des cas identiques sont connus sous ecstasy :

Dans Chronic paranoid psychosis after Ecstasy de Mc Guire chez BMJ (mars 1991) on peut lire le témoignage suivant :

"J’ai pris de l’ecstasy tous les week-end pendant quatre ans, et je suis devenu complètement parano. Je rasais les murs, persuadé que tout le monde avait les yeux fixés sur moi. Je travaille dans une banque, et j’avais toujours l’impression que les clients me dévisageaient derrière mon guichet comme on vient voir les fauves au zoo".

Le deuxième type de risque est situé au coeur de la soirée, sous l’effet actif du produit psychotrope. C’est le risque d’overdose. Ce mot n’est pourtant jamais cité. Selon mes informateurs "des fois ça allait loin, quand tu te refuses rien tu as du mal à cerner la limite, tu planes mais la réalité elle est toujours là, il faut pas l’oublier" sinon le décalage entre ce monde-ci et le monde réel peut perdurer et provoquer des inadaptations.

Fréquenter les fêtes pendant longtemps mène à une banalisation de la drogue, Q évoque la prise d’ecstasy : "c’est peut être un au départ mais ensuite ça augmente assez rapidement vers trois, quatre ou cinq parce qu’il y a (...) une habitude (...), on a l’impression de savoir où on va". Le risque est alors réel mais apparemment peu pris au sérieux, on parle de "jouer un peu avec soi-même (...) bien que ce soit... faut pas le faire à haute dose parce que c’est forcément nocif, parce que le corps est fait pour fonctionner d’une façon et pas d’une autre", ainsi malgré cette apparence d’absence de sérieux il y a tout de même une conscience du risque. On la retrouve souvent dans ce type d’expression : "ça c’est passé toujours plutôt bien" avec le "plutôt" qui désigne en creux que cela n’était pas parfait et que donc quelque part ça peut se passer mal. De plus le fait de dire que l’on a consommé de la drogue par "goût du risque" prouve bien la réalité de ce dernier.

Apparemment le produit le plus dangereux est le LSD si on excepte les micropointes : "jamais de micropointes, ça c’était trop fort je pense", une micropointe est généralement une petite étoile (deux millimètres) de graphite gorgée de LSD, la dose est généralement très supérieure aux classiques timbres, trips ou buvards. L’effet est le même que le LSD mais sur plusieurs cycles c’est à dire qu’après la "descente" (troisième phase) revient une "montée" (première phase) puis une deuxième phase de "plateau" et ainsi de suite. La durée de l’effet d’une micropointe est généralement double de celle du trip.

Le LSD a par contre été consommé par tous mes informateurs privilégiés, selon eux pour en consommer "(il) faut être entouré, on sait jamais, des fois tu vois des trucs graves et tu te sens bizarre... (...). Moi pour me rassurer je me disais toujours que tout est normal malgré les apparences...". Les "on sait jamais" et "pour me rassurer" sont pour moi très évocateurs de la conscience du risque. Parfois cela est encore plus clair : "(le LSD) c’est une drogue qui... malheureusement, je dis malheureusement parce que c’est ce qui (...) est dangereux, qui fait partir dans des réflexions métaphysiques (...), on a l’impression de l’atteindre (la vérité) à ce moment là (...), c’est ça qui est dangereux, c’est en général ce qui fait bloquer les gens... c’est à dire qui les fait complètement se déconnecter de la réalité" et encore "si quand on prend un trip on est pas dans un état d’insouciance complète... je crois que là ça peut être dange... la prise (...) d’acide peut être très, très dangereuse parce que justement y’a peut être une espèce de culpabilité (...), y’a la réalité aussi, ça peut engendrer des séquelles". On voit ici la double difficulté de la prise de LSD : risque de perdre le contact avec la réalité si l’on se laisse trop aller et risque de trop réfléchir et de se bloquer sur ses problèmes, de les amplifier si l’on reste trop proche de la réalité, que l’on n’est pas insouciant.

Mes informateurs sont en effets conscients du risque, lorsqu’ils citent les différentes drogues prises on entend "je crois que c’est tout mais c’est déjà beaucoup" pour conclure. La notion de risque ne va pas sans celle de limite qu’il ne faut pas dépasser sous peine de "bloquer". G et Q en sont plus particulièrement conscients car ils se sont approchés très près de la limite. Voici leur témoignage :

G : "(j’ai voulu arrêter car) déjà c’est nocif, à la fin j’ai eu de sales sensations, j’ai tripé pendant six jours sans dormir chez un pote et à la fin j’ai vu de la neige et j’ai eu une grosse douleur au coeur (...), là j’ai flippé et je me suis dit qu’il fallait que je me calme, (...) beaucoup de mes potes ont arrêté alors j’ai suivi le mouvement".

Q : "la dernière fois que j’ai pris un trip (...) j’ai eu l’impression d’avoir envie d’y rester, (...) je me suis dit bon ben écoute là t’es dans un état qui est proche de la pensée pure, tu peux y arriver, en un clin d’oeil ça peut venir donc j’étais presque en train de me faire bloquer (...) et donc panique par rapport à ça et euh... du coup j’ai arrêté toutes les drogues dures".

Dans le cas de G la limite est physique, c’est celle de son corps, et dans le cas de Q la limite est psychique, c’est celle de son esprit. Ils sont cependant parvenu tous les deux jusqu’à un extrême et ont alors pris totalement conscience du risque encouru, de la proximité de la mort physique ou mentale. Cela les a immédiatement fait tempérer leur consommation de psychotropes. Q a arrêté définitivement à de rares exceptions près et G a mis quelques temps à s’arrêter, il a encore consommé de l’ecstasy de temps à autre pendant plusieurs mois.

Ainsi le risque est une notion très présente au coeur du discours de mes informateurs privilégiés, ceux-ci en sont plus ou moins conscients mais ne peuvent l’ignorer. Parfois la plein conscience du risque leur parvient à l’occasion de l’approche de la limite, celle-ci se fait généralement sous LSD qui semble être une drogue beaucoup plus difficile à vivre et beaucoup plus dangereuse que les autres.

Risques encourus lors des mélanges :

Ecstasy + :

marijuana : pas de risques connus.

LSD : pas de risques connus.

-amphétamines : le mélange augmente la toxicité et risque d’accentuer le phénomène de surchauffe de l’ecstasy.

-cocaïne : toxicité accrue, risque d’overdose.

-tabac : pas de risques connus.

-alcool : contribue à la déshydratation et à la surcharge du foie. Augmente le risque d’overdose).

Il y a différentes approches de la drogue comme il y a différentes approches de la fête, l’ecstasy et le LSD semblent se conformer à des mentalités différentes, des états d’esprit différents voir même des identités différentes.

VII/ L’IDENTITE DU RAVER

Travailler sur le thème de l’identité en rapport avec la fête techno n’est pas nouveau et l’idée de ce VII est d’ailleurs due aux auteurs de Raver et plus spécialement à leur classification selon trois identités : "néo-mystiques", "hédonistes" et "adeptes de la défonce".

Voici la définition que les auteurs donnent de ces trois identités :

"néo-mystiques" : "la fête a une dimension spirituelle. (...) La rave crée un pont entre profane et sacré, elle permet aux participants de se percevoir dans une dimension spatio-temporelle plus large, d’accéder à des états "transpersonnels", les initie à une réalité transcendantale."

"hédonistes purs" : "la transe favorise l’immersion dans un monde imaginaire. Elle ouvre le champ d’exploration de sa propre individualité, permet à travers l’expression corporelle la réalisation d’un "soi" inhibé au quotidien, pose les bases d’une nouvelle relation à l’autre (...). La fête est un temps de débordement passager, limité...".

"adeptes de la défonce" : "la fête est un temps de débordement passager, limité, mais certains y découvrent la transe comme un moyen de fuir une réalité dans laquelle ils ne se sentent pas à leur place. Ces derniers ont tendance à prolonger indéfiniment le moment de la rave et à abuser des psychotropes. Cette logique se renverse même pour un nombre d’individus croissant qui consomment des drogues non pas pour accompagner la fête mais qui vont en rave pour en prendre. Pour eux, l’intérêt essentiel de l’événement devient la prise de psychotropes : ce sont (...) les "défoncés"".

Cette classification m’a semblé très intéressante et tout au long des entretiens menés avec mes trois informateurs privilégiés des points précisés par ces derniers m’évoquaient fortement cette théorie. J’ai donc pensé intéressant de classifier leurs dires selon ces trois catégories d’identité.

1. "Néo-mystique".

Divers éléments concordent avec la définition de Raver, pour G la drogue permet de vivre la fête "à un autre niveau", "la motivation est plus presque spirituelle, comme ouvrir son esprit, voir plus loin". Cela est pour lui associé au "trip (LSD)" pour lequel le "délire (est) plus profond" et permet même de se "foutre de la gueule des ecstasiés" qui sont ainsi exclus de la catégorie des néo-mystiques. L’ecstasy est surtout associée à la danse or le "trip" est "moins cool pour danser" et permet d’être "plus clairvoyant (...), plus lucide, tu te poses plus de questions, c’est un vrai travail sur toi (...). Les choses prennent de la profondeur", on perçoit alors "un autre monde". G n’est pas seul à penser cela, E évoque de nombreux points en accord avec G. Pour lui lors de la rave il y a "une communion", de plus "la fête a une dimension (...) rituelle", ce rituel permet "d’être surpris", de voir quelque chose de nouveau. Pour E le LSD correspond bien, comme pour G, à l’identité néo-mystique, il parle de "connotation hippie", de plus "c’est une drogue qui existe depuis des dizaines d’années, même je dirai même des centaines voir des milliers d’années..." et donc dépasse largement le contexte de la rave, celle-ci est en quelque sorte une réactualisation d’un rituel initiant à une réalité transcendantale. Quant à Q il nous dit que lorsque l’on prend de la drogue on a "l’impression de savoir où on va", que l’on entre dans quelque chose de différent puis l’on retourne "dans le monde réel" en descente. De plus pour lui le LSD permet une réflexion "métaphysique" très poussée sur "Dieu" par exemple et de cette réflexion sont extraites des "vérités" qu’il "prend à 200km/h dans la face", on peut même parler ici de révélations, le "tripé" est alors "illuminé", il accède à des états transpersonnels (cf. Raver) qui s’incarnent chez Q par le souhait de devenir "une pensée pure", la drogue alors permet de "sublimer (...) des choses complètement futiles".

Une drogue particulière semble ici correspondre à l’identité de "néo-mystique" : le LSD. Cependant l’ecstasy est parfois cité mais dans une moindre mesure, l’outil rituel majeur est ici bel et bien le LSD. Peut être est-ce son absorption qui permet de changer son identité habituelle en celle de "néo-mystique" ? Cela est probable car le type de révélations faites sous LSD ne sont effectuées à aucun autre moment.

2. "Hédoniste".

Examinons sur le même mode les entretiens menés. A nouveau G, E et Q semblent parfois revêtir cette nouvelle identité. Parfois "néo-mystiques", parfois "hédonistes". Voyons en quoi ils peuvent être hédonistes : les hédonistes sont en quelque sorte des jouisseurs, ils veulent profiter du moment présent et cela de la façon la plus agréable possible. G m’a confié : "je me laissais aller (aux) sensations" procurées par la danse et la "dope (drogue)", il pouvait se relâcher ce qui n’était pas le cas dans sa vie quotidienne : "ça me faisait me marrer au moins, m’éclater pas comme pendant la semaine", la fête est "un moyen de faire un break", "un lieu un peu coupé pendant quelques temps pour que y’ai tout qui sorte... pour que tu puisses te lâcher, pas jouer un rôle comme tu fais tout le temps dans la vie". Le moi profond peux enfin s’exprimer pleinement, sans retenue, cela se voit également à travers le type de relations interpersonnelles instaurées en soirée, la norme est nouvelle, le "contact" est valorisé, c’est le "bonheur". On ressent l’"amour de tous" à tel point que "tu deviens un peu crétin même mais bon tu te fends la gueule et le temps passe à une vitesse folle", il n’y a "plus de barrière entre les gens". Cela est du à l’ensemble musique/danse/drogue. Pour E, la musique permet une certaine "communion", "on fait corps avec la musique, c’est donc une impression très, très agréable, très forte". Il se défoule par la danse car la techno "est une musique pas pour penser, pour se lâcher sur des sons (...), une musique faite (...) pour danser". Il vit la fête "comme un moyen d’évacuer l’oppression quotidienne" par "l’amusement" et "la recherche de nouvelles sensations" qui sont ses motivations premières. Il veut en profiter, avoir une coupure momentanée d’avec le quotidien, il veut s’exprimer, son discours est d’ailleurs assez axé sur lui-même ce qui est le cas de tout hédoniste (de G également) bien que la relation à l’autre soit fondamentalement modifiée. Selon lui en soirée l’"ambiance (est) très conviviale", "sans contraintes, sans gardiens" ce qui est placé en opposition avec la vie de tous les jours, ici la règle est la "bonne humeur", "les gens sont tellement ouverts qu’il y a des rapports qui sont supers". De plus la relation à l’autre est très valorisée (malgré le côté quelque peu égocentrique et narcissique de l’hédoniste), c’est une expérience de "groupe exclusivement", "on est tellement extraverti que si on se retrouve seul, on peut pas rigoler (...), s’exprimer". Le côté hédoniste de E ressort également dans la "satisfaction" qu’il ressent en lien avec la prise de drogue. Selon Q la transe "permet de s’échapper" du "monde réel", "s’échapper du quotidien", de s’"évader" par une "musique (...) qui transporte par les sensations". L’hédoniste a en effet un rapport au corps bouleversé, celui-ci est très valorisé et en même temps les rapports entre les corps sont très favorisés. Q lui aussi veut profiter de ce moment de relâchement momentané, sa "motivation" est "l’amusement", c’est pour cela qu’il consomme des drogues. Cela permet de plus par la transe un nouveau type de rapport à l’autre mêlé à ce qu’il définit comme "une espèce de narcissisme", il me confie que l’"on a besoin des autres" mais en même temps dit "je dansais pour me satisfaire (...), pour être dans mon monde (...), je suis en même temps loin de moi et loin des choses qui sont quotidiennes (...)et en même temps ça procure du plaisir parce que justement on est loin". Ainsi l’hédoniste semble avoir un raisonnement quelque peu autocentré au sens le moins péjoratif du terme c’est à dire que la nouvelle relation à l’autre, le fait de pouvoir aller "vers les autres facilement" est un moyen de "vivre les choses beaucoup plus intensément", de plus "la techno (...) c’était surtout un moyen de s’éclater et de la vivre de l’intérieur", ici aussi la musique est un moyen qui permet au sujet de s’amuser.

Il n’y a pas ici à proprement parler de drogue spécifique à l’hédoniste comme le LSD pour le néo-mystique. La préférence va cependant à l’ecstasy, la "drogue de l’amour" qui modifie le rapport à l’autre. Mais sous cette apparence d’esprit de groupe, l’hédoniste est quelque peu autocentré, tout n’est que moyen à son épanouissement personnel.

3. "Adepte de la défonce".

Cette identité est en quelque sorte le résultat de l’identité d’hédoniste poussée au delà de sa limite. L’excès et l’abus sont les leitmotivs des "adeptes de la défonce", la drogue devient centrale au détriment de la fête, celle-ci devient un moyen et non plus une fin.

Selon T. Leary dans Chaos et Cyberculture :

"La prise de drogue se transforme en abus quand elle se fait dans une solitude narcissique".

Je suis assez d’accord avec ce point de vue qui semble confirmer une théorie de l’identité d’"adepte de la défonce" comme "hédoniste" extrémiste en quelque sorte. Le narcissisme était déjà une caractéristique de l’hédoniste (selon moi, l’avis des auteurs de Raver à qui j’emprunte ces catégories était sur ce point beaucoup plus réservé), en y ajoutant l’excès, l’"abus" on bascule du côté de la "défonce".

Il semble bien que G, E et Q aient basculé de temps à autre vers cette identité.

G dès ses premières soirées les prolonge au maximum et consomme beaucoup de drogue. Il confesse lui-même que "des fois ça allait loin, quand tu te refuses rien tu as du mal à cerner la limite", ainsi il a pris beaucoup de drogues différentes et a fait de nombreux mélanges, il a même consommé de l’héroïne en soirée ce qui a eu pour résultat qu’il "piquait du nez" et donc ne participait plus. "Parfois j’en avais rien à foutre aussi, j’étais dans mon trip", la drogue devient parfois centrale comme dans ce cas. De plus il tombe rapidement dans l’excès, quand il était "défoncé" il ressentait ceci : "je sentais plus mon corps" et alors il a "souhaité rester bloqué comme ça pour toujours" et pour y arriver il s’est beaucoup drogué : "des fois on prenait sur la piste (de danse) ou n’importe où parce qu’on était déjà def (défoncé)". Il en voulait toujours plus et a fini par quasiment aller trop loin lorsqu’il a "tripé pendant six jours sans dormir". Pour E "les soirées techno étaient exclusivement liées à la drogue", il ne faisait pas de fête sans drogue. Son désir était de "voyager" comme pour un hédoniste mais cela est plus poussé ici, il ne cherche pas à laisser son moi s’exprimer mais au contraire à l’inhiber, la musique "vous transporte" et crée "une espèce d’inconscience, on est plongé dans la musique et on oublie, on fait le vide", cela lui permettait d’"être surpris", de voir quelque chose de nouveau, cela plus son "goût de l’interdit" et son "goût du risque" l’ont amené à, selon lui, "jouer un peu avec" moi "même ce qui l’a "toujours un peu amusé". Pour lui le risque fait partie du jeu et de la soirée par la drogue, sa prise est assez extrême, il en a consommé de manière importante hors des soirées, a fait beaucoup de mélanges, qualifie des drogues telles que l’héroïne ou la cocaïne de banales. De plus selon lui le cadre doit être adapté à la drogue et non l’inverse donc la drogue serait centrale pour lui. Cela est intéressant car il avouait précédemment ne pas consommer telle drogue quand la situation ne s’y prêtait pas, cela revient en fait au même bien que dans ce deuxième cas on avait plus l’impression de la drogue comme moyen et de l’élimination de ce moyen en cas de non équation d’avec le cadre. Enfin en ce qui concerne Q "la drogue" est un des éléments principaux d’une soirée car "la fête c’est pour moi aussi un état second". Pour lui le lien entre drogue et fête est très fort car "au départ on va chercher l’état second par la musique et à un moment (...) y’a la drogue qui prend le pas", ainsi au début Q était essentiellement hédoniste, il allait en soirée "pour la musique" mais "ça a très vite évolué vers la drogue, j’y allais parce que je pouvais me défoncer", la fête est alors centrée sur la drogue, la musique "booste les effets de la drogue" et donc l’accompagne et non l’inverse. Il savait de plus que la drogue mène selon lui à la superficialité des rapports mais "ça m’empêchait pas de vivre les choses intensément à ce moment là", seul son bonheur narcissique compte, la musique, les autres ne sont que des moyens pour accroître le plaisir personnel procuré par la drogue. Selon lui quand il faisait une soirée sans drogue "je me faisais chier" et "j’y allais parce que je pouvais me défoncer". La drogue "prend le pas" et "du moment où on entre dans la drogue ben après on en prend même s’il n’y a pas de soirée... on en prend pendant, après", l’excès est ici bien réel et la fête n’a plus de sens, seule compte la "défonce" par la polytoxicomanie, les mélanges et l’augmentation des doses.

La spécificité dans le lien drogue/identité propre à la figure de l’"adepte de la défonce" est la polytoxicomanie et les mélanges, la prolongation maximale des effets de la drogue par tous les moyens possibles.

4. La combinaison des identités.

Je n’adhère pas totalement à la théorie d’Astrid Fontaine et Caroline Fontana, celle-ci nous expose trois groupes scindés au coeur de la rave, groupes homogènes car constitués de ravers de même identité. Selon moi cette hypothèse s’avère réductrice, il faut en effet passer sous silence de grandes parts de témoignages pour arriver à de tels résultats. Certes à la lecture des entretiens G semble plutôt proche de l’identité de "néo-mystique", et Q et E de celle d’"hédoniste" voir d’"adepte de la défonce" cependant aucun de mes trois informateurs privilégiés ne semble être en contradiction avec une des trois identités. Il s’agirait alors plutôt de masques au sens de la métaphore théâtrale d’Erwing Goffman qui seraient organisés de la façon suivante : trois identités pour deux masques. Je m’explique : selon moi l’identité de "néo-mystique" est endossé par moments dans la soirée voir pendant toute une soirée mais reste temporaire, ce ne peut être (en ce qui concerne mes informateurs privilégiés) une identité permanente ou alors la personne considéré comme porteuse de cette identité sera "bloquée" au sens où l’entendait Q c’est à dire "complètement déconnecté de la réalité".

Derrière ce masque provisoire, annexe, de "néo-mystique" se cache le masque double constitué des identités d’"hédoniste" et d’"adepte de la défonce". Pour moi l’"adepte de la défonce" est un "hédoniste" qui a poussé trop loin son désir d’épanouissement personnel et échoue alors dans une douloureuse solitude narcissique qui se remarquait déjà chez l’"hédoniste" mais n’avait pas encore révélée toute l’ampleur qu’elle prend chez le "défoncé". Celui-ci a alors le goût du risque et cède à l’excès, à l’abus. Il est à noter que pour deux de me informateurs privilégiés (G et Q) la perte d’identité de "défoncé" a été de paire avec celle d’"hédoniste" ce qui semble confirmer pour leur cas ma théorie de la dualité du masque primaire du raver, le masque secondaire annexe étant celui de "néo-mystique".

CONCLUSION.

Nous avons découvert ici quelle était la perception de la fête spécifique qu’est la rave par ses participants. Ses éléments majeurs, notamment la musique, la danse et le groupe. Un quatrième élément majeur va alors émerger pour le petit groupe étudié : la drogue. Celle-ci semble indissociable de la rave pour ces personnes ce qui n’est, il faut le rappeler, pas le cas de tous. Tous ces éléments permettent la transe générant rupture, jeu, transcendance. La communication et les rapports interpersonnels en sont bouleversés ainsi que le rapport au monde. S’attarder plus longuement sur le thème de la drogue nous a permis de mieux cerner la spécificité de chacune, l’usage, le but recherché et l’état d’esprit généré qui sont très divers d’une drogue à l’autre et parfois même d’une personne à l’autre. Il y a cependant un élément qui est invariable, malgré son attrait la drogue et tout son corollaire fait peur, le risque est perçu par tous et fait partie du rituel. Ce rituel sera vécu de façons diverses que l’on peut regrouper en deux grandes catégories : le mode "néo-mystique" selon lequel la dimension spirituelle de la fête est réelle et est une véritable initiation à la transcendance et le mode narcissique qui peut évoluer du narcissique jouisseur (ou "hédoniste") qui profite au maximum du moment de transgression qu’est la fête pour se réaliser au narcissique solitaire ou "défoncé" qui continue dans la même voie que le narcissique jouisseur mais ne parvient pas à fixer la limite et tombe dans l’excès, l’abus.

Le raver perçoit parfois et de façon momentanée un accord, une communion permise par la transe cependant malgré l’apparence d’esprit de groupe le raver est souvent seul, il se sert d’autrui comme d’un moyen d’épanouissement personnel et cela est réciproque. Mais cela n’est pas réellement masqué sous les apparences, c’est une règle et elle est acceptée par tous, les participants en sont conscients, le rapport est à la fois autocentré et collectif, la somme des volontés égoïstes mène au bonheur général et cela sans ambiguïté. L’affirmation de l’individu et de ses besoins au sein du groupe, c’est cela aussi la rave, l’expression de ses désirs est ici permise par le hors-normes, le besoin de réalisation de soi est enfin possible ce qui n’est pas ou peu le cas dans la vie quotidienne.

Bibliographie.

Raver. Astrid Fontaine et Caroline Fontana, 1996, éditions Economica (Collection Anthropos, poche Ethno-sociologie).

Chaos et cyberculture. Timothy Leary, 1996, Editions du Lézard.

E comme ecstasy. Nicholas Saunders, Deuxième édition : mai 1998, Editions du Lézard.

Stigmate. Erwing Goffman, 1996, Editions de minuit.

Hands of Light. Barbara Ann BRENNAN, 1998, Bentam.

Article : "The Psychological and Physiological Effects of MDMA on normal Volonteers", Joseph Downing, in Journal of Psychoactives Drugs, vol.18/4, 1986.

Article : "Chronic MDMA use : Effects on Mood and Neurophysilogical Function ?", George Ricaurte et col., in American Journal of Drug and Alcohol Abuse, 18/3, 1992.

Article : "Meeting at the Edge with Adam : A Man for All Seasons ?", Philip Wolfson, in Journal of Psychoactives Drugs, vol.18/4, 1986.

Etude sociologique : Women, Sexuality and Ecstasy Use. The Final Report, Sheila Anderson, 1993, publié par Lifeline (101 Oldham Street,Manchester M411W).

Article paru dans This World, 23/6/95. Article écrit par un quadragénaire qui goutte l’ecstasy pour la première fois.

Chronic paranoid psychosis after Ecstasy. Mc Guire, mars1991, BMJ.

Discours inaugural de Mark GILMAN de Lifeline (bureau d’études sur les drogues et centre d’accueil et d’assistance aux drogués) lors de la First International Conference on Safer Dancing, Manchester Town Hall, mars 1995.

Article : "Le grand bazar des stupéfiants". L’express, 30septembre 1993, pp62-63.

Rapport du Professeur Roques Bernard sur la dangerosité des drogues fait au Secrétaire d’Etat à la Santé.

Des annexes ainsi que quelques entretiens n’ont pas été présentés ici. N’hésitez pas à me solliciter si vous désirez les consulter.

François Oudin